L'art se transmet souvent d'homme à homme, passe de la main à la main, dans une relation intime et forte, quasi familiale, qui commence par une reconnaissance, soit que l'artiste en herbe élise un de ses aînés pour le constituer en parrain ou en père, soit que, plus confirmé, il croit voir son reflet dans un égal et se sente avec lui dans une connivence fraternelle qui lui permet d'entamer un dialogue. Toutes ces rencontres donnent lieu à des scènes légendaires que la littérature ou la peinture fixent, mais aussi a des récits plus ou moins édifiants, ceux d'amitiés heureuses ou tumultueuses. Il y est question d'héritage, de filiation, de reniement, de rencontres réussies ou de mauvaises rencontres. Les écrivains, les artistes ont, eux aussi, leurs histoires de famille. C'est la lecture des Chants de Maldoror qui redonne à Michaux le « besoin, longtemps oublié », d'écrire. Labisse peint Bonjour, Monsieur Ensor et s'approprie certains des motifs de son oeuvre, masque ou squelette. Réda s'attache à Duke Ellington ou fait l'excursion du mont Ventoux, où il croise Pétrarque et Cingria. Quant à Proust, après avoir rencontré la Berma, Bergotte ou encore Elstir, c'est lui-même qu'il finit par trouver. Voilà à quoi servent parfois les médiateurs : ils révèlent. La liste est longue de ces rencontres, qu'elles aient eu lieu dans le monde de tous les jours - à Ostende ou Paris - ou par oeuvre interposée.Le propos de ce numéro est de mettre l'accent sur ces rencontres déterminantes.