L'école primaire serait-elle un lieu protégé des évolutions techniques parfois un peu effrayantes qui déferlent dans la société ? Ou bien ne serait-elle pas au contraire un laboratoire d'innovations pédagogiques dont certaines se banaliseront à terme ? Elle est en tout cas le lieu central de la formation des générations à venir et, à ce titre, elle a une responsabilité particulière à l'égard des nouveaux défis posés par les nouveaux instruments et ressources dits « numériques » qui apparaissent sans cesse. Le présent ouvrage collectif s'intéresse à la manière dont notre système scolaire propose des réponses à ces défis. Écrit par des chercheurs de différentes spécialités en vue d'un large public, il offre un large panorama de la situation, en s'intéressant aussi bien à l'utilisation en classe d'instruments mobiles qu'à la pensée informatique et à la formation des enseignants et à l'enseignement à tous d'une culture informatique.
Comment lire le Phédon ? Le jeu des questions et des réponses comme clé herméneutique
Theodor Ebert
Etre, puissance, communication : la définition de la puissance dans le Sophiste
Marc-Antoine Gavray
L'insatiabilité du désir dans le Philèbe
Sylvain Delcomminette
Maxime de Tyr et la voix du philosophe
Javier Campos Daroca et Juan Luis López Cruces
Rhétorique philosophique et fondement de la dialectique : le commentaire du Gorgias par Olympiodore
François Renaud
Liberal Arts and Recollection in Augustine’s Confessions X (9, 16-12, 19)
Luca Castagnoli
On the nature of logos in Aristotle
Russell Winslow
Unité et vérité de la phantasia chez Aristote
Annick Stevens
Comptes rendus
Bulletin bibliographique
Dans cet article, je discute deux passages du Phédon de Platon : 91e-92e, c'est-à-dire le premier argument opposé par Socrate à la thèse de l’âme-harmonie soutenue par Simmias ; 74e-75c, qui fait partie de l’argument de la réminiscence. Cette discussion vise à montrer que Platon fait en sorte que ses personnages, Socrate et Simmias, suivent des stratégies argumentatives différentes, fondées sur des niveaux de compréhension différents. Je soutiens en outre qu’en lisant les passages en question comme des jeux dialectiques impliquant deux partenaires on s’aperçoit qu’une certaine doctrine attribuée à Platon, en l’occurrence ce qu’on appelle la théorie de la réminiscence, ne faisait pas partie, en réalité, de son credo philosophique.
En Sophiste, 247d8-e4, l'Étranger d’Élée pose un horos de l’étant comme « puissance d’agir et de subir (dynamis tou poiein kai tou pathein) ». L’objectif que se fixe cet article est d’envisager quel sens donner à cet horos et quelle valeur accorder à la dunamis dans ce dialogue. D’une comparaison avec d’autres occurrences dans le corpus platonicien (Phèdre et Théétète), il ressort que le Sophiste amène un double déplacement : d’une part il fait passer la question de la dunamis sur le champ de l’Etre d’une manière inédite, d’autre part son protagoniste n’attribue plus la formule à Hippocrate ou à Protagoras, mais il la présente comme le moyen, qu’il s’apprête à défendre, de sortir d’une impasse. Par une lecture des arguments qui annoncent et qui suivent cet horos, il apparaît que celui-ci possède une grande efficacité pour la compréhension de la structure du dialogue et de l’évolution de son argumentation. En même temps qu’il sert à définir l’Etre, il permet d’expliquer le fonctionnement de la koinonia des Genres et de jeter les bases de la théorie du non-être. En définitive, il se révèle être un truchement opérant pour dépasser définitivement la sophistique en lui substituant une véritable ontologie philosophique.
Quoique implicite, le traitement platonicien du thème de l'insatiabilité du désir dans le Philèbe est profondément original. En considérant le plaisir comme l’objet immédiat du désir, et en caractérisant le plaisir comme un apeiron (c’est-à-dire un indéterminé ou un illimité), il situe l’origine de ce phénomène non dans l’essence même du désir, mais dans son objet, qui par nature lui échappera toujours. La seule manière de l’éviter sera dès lors de réorienter le désir vers un autre objet, à savoir l’intelligible, qui seul sera capable de le limiter – ce qui signifie non pas l’amoindrir, mais lui donner les moyens de trouver sa satisfaction dans son propre exercice. Le désir ainsi transformé est la philosophie elle-même, seule voie vers le bien et le bonheur selon Platon.
Maxime de Tyr essaie d'harmoniser les voix de Platon et d’Homère en attribuant au philosophe les vertus « vocales » du poète. Il donne à la voix une importance constante tout au long des Conférences. Elle est même le sujet de la première, qui a une valeur programmatique pour l’ensemble de son œuvre.
En examinant, au livre X des Confessions, notre memoria des arts libéraux, Augustin pose une série de questions stimulantes. La meilleure façon de les aborder est de les envisager dans le contexte plus large de ses idées sur ce que c'est qu’enseigner, apprendre, comprendre, acquérir un savoir. Pour être emmagasinés dans notre mémoire (un réceptacle ni matériel ni spatial, souvent dépeint métaphoriquement au moyen d’images spatiales), les contenus propres aux arts libéraux n’ont pas à passer par l’intermédiaire d’images (comme les objets des sens) ou de « notions » (comme les affections de l’âme). Quand nous étudions les disciplinae liberales, en réalité nous n’assimilons pas une nouvelle information délivrée par nos maîtres : leurs paroles déclenchent en nous un processus par lequel nous retrouvons, dans les « profondeurs » les plus éloignées de notre mémoire, des contenus qui y étaient déjà présents de façon latente depuis notre naissance (je traite la question de savoir ce que pourraient être exactement ces contenus). À la différence de ses écrits antérieurs, dans les Confessions, Augustin évite soigneusement les expressions qui pourraient suggérer une véritable réminiscence platonicienne, portant sur des choses connues dans des vies antérieures avant d’être oubliées, présupposant ainsi la préexistence et la réincarnation de l’âme (même la thèse que cogitare consiste littéralement à « se remémorer » n’implique pas qu’on se rappelle un savoir oublié). Je soutiens que pour Augustin l’illumination divine (telle qu’elle est présentée, p. ex., dans le De magistro et le De Trinitate) et la réminiscence ne sont pas deux théories concurrentes et incompatibles, mais deux ensembles de métaphores cohérents, quoique différents, destinés à illustrer des idées et des intuitions apparentées entre elles (parfois insuffisamment déterminées dans le détail). J’explique également pourquoi la métaphore de l’illumination semble en dernière analyse la plus appropriée.
Dans l'Éthique à Nicomaque, Aristote propose une division de la partie de l’âme qui possède le logos. À partir de cette curieuse division, l’auteur s’interroge sur le paradoxe qui consiste à devenir un citoyen individuel au sein d’une collectivité civique. La division proposée dans l’Éthique implique une distinction entre (1) un logos qui écoute et répète des logoi et (2) un logos proprement actif et créatif, en tant qu’energeia, en tant que logos. Se fondant sur la thèse aristotélicienne, que le logos en tant qu’energeia, comme la vertu, parvient à son achèvement grâce à une répétition de l’univers de logos environnant, l’auteur examine la nature de cette transformation, au sein du logos, de la simple répétition à l’activité véritable. En outre, puisque Aristote affirme que la nature singulière de l’être humain, par contraste avec les autres sortes de nature, est d’être à l’œuvre dans le logos, on est conduit à prolonger ces questions jusqu’à considérer ce que signifie la nature chez Aristote et, en particulier, la nature du logos.
Le commentaire du Gorgias de Platon par Olympiodore d'Alexandrie (av. 505-apr. 565) est le seul commentaire ancien du dialogue qui nous soit parvenu. Peu connu et négligé, ce texte présente pourtant un réel intérêt historique et herméneutique. Outre sa valeur pour notre compréhension du néoplatonisme tardif, l’interprétation d’Olympiodore est susceptible de renouveler à certains égards notre lecture du texte platonicien et d’alimenter le débat méthodologique actuel, qui remet de plus en plus en question certains présupposés herméneutiques dominants jusqu’il y a peu dans la recherche (notamment concernant la chronologie, la forme dialoguée et la dialectique). La présente étude se concentre sur deux thèses fondamentales du commentaire : d’une part, l’unité de la forme dramatique et du contenu doctrinal du dialogue, interprétée à la lumière du Phèdre et de la République, et d’autre part, le fondement de l’accord dialectique (à la fois dans sa teneur réfutative et maïeutique), à savoir les « notions communes (koinai ennoiai) ». La dernière section de cette étude identifie quelques mérites et quelques difficultés du recours au Phèdre et à la République ainsi qu’aux « notions communes ».
L'article vise à montrer que l’unité des différentes fonctions attribuées par Aristote à la phantasia est assurée par la signification originelle du terme correspondant au verbe « apparaître », et que la diversité de ses fonctions et de ses valeurs de vérité dépend des circonstances de l’apparaître. La division principale doit se faire entre l’apparaître en présence de l’objet, qui concerne tous les passages où la phantasia est étroitement associée à la sensation, et l’apparaître en l’absence de l’objet, où la phantasia a lieu sans la sensation, qu’elle soit activée volontairement ou non. La relation de la phantasia à la vérité varie également en fonction du type de vérité pertinent dans chaque situation : vérité antéprédicative de la simple saisie, vérité propositionnelle comme adéquation au réel, vérité pratique ou encore absence de pertinence de la question de la vérité dans la fiction assumée comme telle. Est également mis en évidence le rôle crucial de la phantasia comme condition de la pensée et de l’action.