Allemagne d'aujourd'hui, n°188/avril - juin 2009

Tabous de l'hstoire dans les deux Allemagnes avant 1989 et après la réunification
Première édition

Spécifications


Éditeur
Presses Universitaires du Septentrion
Marque d'éditeur
Association pour la Connaissance de l'Allemagne d'Aujourd'hui
Partie du titre
Numéro 188
Auteur
,
Revue
Allemagne d'aujourd'hui | n° 188
ISSN
00025712
Langue
français
Catégorie (éditeur)
Septentrion Catalogue > Lettres et civilisations étrangères > Pays germaniques et scandinaves
Catégorie (éditeur)
Septentrion Catalogue > Lettres et civilisations étrangères
Date de première publication du titre
10 septembre 2009
Type d'ouvrage
Numéro de revue

Livre broché


Date de publication
10 septembre 2009
ISBN-13
9782757400982
Ampleur
Nombre de pages de contenu principal : 144
Code interne
1155
Format
16 x 24 cm
Poids
370 grammes
Prix
12,00 €
ONIX XML
Version 2.1, Version 3

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Extrait


La place de l’idéologie communiste dans la politique africaine de la République Démocratique Allemande des années 1960

Résumé

Confrontée à un problème de reconnaissance sur le plan international dès sa création en 1949, la République Démocratique Allemande axa sa politique extérieure, et partant, sa politique africaine, des années 60 sur la recherche de sa légitimité. Cependant, un autre volet de cette politique qui a souvent été ignoré était la volonté farouche du régime de Berlin-Est de promouvoir l'expansion du système communiste en Afrique Noire. Les pays cibles étaient principalement les états dits progressistes comme la Guinée, le Ghana, le Mali et la Tanzanie. Les moyens utilisés étaient la formation de cadres et étudiants africains de même que les opérations de charme auprès d'organisations multilatérales africaines.

L’Union Soviétique et les pays de l’Est qui ont vite compris cette politique africaine de la RDA l’ont soutenue si bien que l’admission de la RDA à l’ONU en 1973 fut considérée, non seulement comme la victoire de Berlin-Est sur la RFA qui avait longtemps lutté pur l’isolement de ce deuxième Etat allemand, mais aussi comme celle du monde communiste sur le monde capitaliste.

Mots-clés

République Démocratique Allemande (RDA), République fédérale d’Allemagne (RFA), communisme, Afrique Noire, formation, organisations multilatérales, bloc socialiste, bloc capitaliste.
The place of the communist ideology in the African policy of the 1960s German Democratic Republic

Abstract

Confronted with a problem of international recognition upon its creation in 1949, the German Democratic Republic centred its foreign policy, i.e. its African policy of the 60s on the search for legitimacy. Yet, another aspect of this policy often ignored was the determination of the East-Berlin regime to promote the expansion of the communist system in Black Africa. The target countries were mainly the countries labeled as progressive like Guinea, Ghana, Mali und Tanzania. The means used were the training of the black elites and students as well as the appealing operations with African multilateral organizations.

The Soviet Union and the Eastern countries which well understood this African policy of GDR defended it so strongly that the admission of GDR to the UN in 1973 was considered, not only as the victory of East-Berlin over FRG which has been struggling ceaselessly for the isolation of this second German republic, but also as the victory of the communist world over the capitalist world.

Key words

German Democratic Republic (GDR), Federal Republic of Germany (FRG), communism, Black Africa, multilateral organisations, socialist bloc, capitalist bloc.


L’actualité sociale

Actualité sociale avril 2009

L'actualité du printemps 2009 a été marquée, comme celle des mois précédents, par la crise économique et financière qui continue de faire la une des médias. La situation en Allemagne a ceci de paradoxal que les prévisions sont plus sombres que pour la France, alors que la population se dit globalement encore peu concernée sur le plan individuel. Les derniers pronostics du mois d’avril font état d’un recul de 6% du PIB pour 2009 et d’un accroissement du chômage pouvant le porter à presque 5 millions fin 2010 – un record de triste mémoire – mais les Allemands, jusqu’à présent du moins, n’ont pas recours aux actes de protestation massive qui caractérisent la situation en France. Dans le domaine social, l’intérêt se partage entre l’enthousiasme continu pour la prime à la casse et les préoccupations concernant l’environnement, en l’occurrence l’interdiction du maïs génétiquement modifié. Les scandales d’espionnage continuent à être à l’ordre du jour avec le départ du président Mehdorn de la direction de la Deutsche Bahn ainsi que les questions religieuses, que ce soit le référendum sur l’enseignement religieux à Berlin ou l’ouverture du procès des terroristes islamistes à Düsseldorf. La pénurie d’enseignants, traitée de manière humoristique dans les médias, ouvre ce panorama de l’actualité sociale.

Pénurie d’enseignants

C’est le Land de Bade-Wurtemberg qui a été parmi les premiers à attirer l’attention sur la pénurie d’enseignants qui se profile à l’horizon. Le nombre de professeurs qui manquent à l’appel est actuellement estimé à environ 20 000, mais la situation risque de s’aggraver considérablement à l’avenir car, sur les 800 000 enseignants que compte l’Allemagne, 300 000 partiront à la retraite dans les dix ans à venir. La pénurie n’est pas la même partout. Elle touche notamment les collèges (Realschule) et les lycées (Gymnasium) et ce dans des matières telles que les mathématiques, la physique et le latin, ainsi que les matières enseignées dans les lycées professionnels. Actuellement, de nombreuses écoles couvrent leurs besoins en confiant quelques heures de cours à des vacataires ou des retraités, mais il ne s’agit là que d’expédients. C’est pourquoi le Land de Bade-Wurtemberg a lancé une campagne de recrutement, non pas tellement pour inciter des étudiants à s’intéresser au métier de professeur, mais pour attirer des enseignants en poste dans d’autres Länder, notamment en Bavière, en leur promettant des rémunérations plus élevées.

Cette méthode, que le Bade-Wurtemberg n’est pas le seul Land à pratiquer, a soulevé une vague de protestation, car certains Länder, surtout ceux qui offrent de faibles rémunérations à leur personnel enseignant, voient la pénurie s’aggraver chez eux, sans qu’ils puissent s’opposer au départ de leurs professeurs. Depuis la réforme du fédéralisme de 2006, les Länder qui ont de toute manière la main haute sur le secteur de l’éducation, ont en outre le droit d’introduire des règlements de rémunération, chacun de son côté. Les professeurs bénéficient eux aussi de la liberté d’installation. Si un Land donné accepte de recruter un enseignant formé ailleurs – ce qui suppose qu’il reconnaît la formation dispensée par un autre Land – l’enseignant a parfaitement le droit de quitter son lycée ou son collège pour aller enseigner dans un autre Land, plus attractif à ses yeux. La Bavière, qui reconnaît plus difficilement la formation dispensée dans un autre Land, n’a pas cette facilité, d’où la colère des Bavarois. Ces mouvements entre Länder concerne tout particulièrement les jeunes professeurs, très au fait des nouvelles méthodes pédagogiques, ce qui est d’autant plus durement ressenti par les établissements qui les perdent.

Ces pratiques ont suscité un tel tollé en Allemagne que la conférence des ministres de l’éducation des Länder qui s’est tenue début mars à Stralsund fut obligée de se saisir de l’affaire. Les Länder, qui ont finalement promis de ne pas dépasser entre eux les bornes de ce qu’ils ont appelé une compétition loyale, ont surtout décidé de s’attaquer enfin au problème qui est à la racine de cette crise, à savoir la pénurie d’enseignants. Il est vrai que le métier suscite de moins en moins de vocations parmi les étudiants. Il est mal payé, surtout au début : les jeunes enseignants, les Referendare, ne perçoivent guère plus que 900 à 1000 € pendant les deux premières années d’exercice. De plus, le métier est devenu difficile. Les professeurs doivent faire face à des classes de plus en plus hétérogènes, souvent peuplés d’élèves en difficulté linguistique ou culturelle, dont certains peuvent exprimer leur mal-être par la violence. A cette détérioration du climat dans les classes s’ajoute la dégradation de la réputation des enseignants dans le public. Une récente étude réalisée par l’institut d’économie IFO enfonce le clou en affirmant que la plupart des instituteurs et des professeurs de collège auraient décroché leur baccalauréat avec une moyenne médiocre, soulignant par là que seuls les mauvaises élèves choisissent de devenir professeur…

Dans ces conditions, Josef Kraus, le président de la Fédération des enseignants, n’est pas mécontent de voir que les établissements scolaires créent un peu de concurrence autour des professeurs. S’il estime que, dans le court terme, il faut bien avoir recours aux vacataires et aux retraités pour combler les vacances, il souligne la nécessité, à long terme, de mener une stratégie beaucoup plus active pour attirer de futurs enseignants. Ce n’est que si les Länder parviennent à passionner davantage de jeunes pour le métier de professeurs, en améliorant leur statut au passage, qu’on parviendra à consolider la situation sur le front de l’enseignement, une situation peu brillante actuellement, à en juger des résultats des enquêtes PISA.

Pro Reli : référendum sur l’enseignement religieux à Berlin

Contrairement à la laïcité qui prévaut dans les écoles françaises, l’enseignement religieux est partie intégrante de la scolarité dans la presque totalité des Länder allemands. Matière obligatoire, il y est intégré dans le système de notation officiel au même titre que les mathématiques, l’allemand ou l’histoire. Berlin fait toutefois exception. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les cours de religion y sont facultatifs. A la place du cours obligatoire de religion, la coalition gauche-gauche (SPD – die Linke) au pouvoir dans la ville-Etat de Berlin a instauré dans les collèges un cours d’éthique, assez voisin dans son approche d’un cours d’instruction civique français. En 2006, après la découverte du meurtre « d’honneur » d’une jeune fille turque par son frère, le Sénat de Berlin a rendu les cours d’éthique obligatoires. En instaurant une réflexion sur l’identité, l’amitié et la tolérance, la municipalité voulait promouvoir la compréhension entre jeunes issus de différentes cultures. Elle avait en effet estimé que des cours d’éthique était adaptés à une métropole multiculturelle telle que Berlin où plus de la moitié de ses 3,4 millions d’habitants se déclarent sans confession, ce qui n’est guère surprenant vu le passé areligieux de Berlin-Est du temps de la défunte RDA. Par ailleurs, Berlin compte plus de 20% de protestants, environ 10% de catholiques, à peu près autant de musulmans et une petite minorité juive, essentiellement d’origine russe.

Bien que minoritaires dans la population de Berlin, les tenants de l’instruction religieuse obligatoire à l’école publique n’entendent pas se satisfaire de cette situation. L’association Pro Reli, soutenu par les Eglises protestante et catholique, s’est emparée du sujet. Elle réclame que les collégiens puissent avoir le choix entre des cours d’éthique ou des cours de religion, organisés séparément pour chaque confession. Actuellement, seuls les cours d’éthique sont obligatoires, l’instruction religieuse étant facultative et souvent reléguée en fin de journée scolaire. Les membres de l’association revendiquent une égalité de traitement pour l’éthique et la religion. Le débat a largement dépassé la ville de Berlin et gagné l’opinion publique en Allemagne, où les églises chrétiennes jouent un rôle important dans la vie sociale et politique ; le parti de Mme Merkel, la CDU, ne se réclame-t-il pas du christianisme ?

Toujours est-il que les Berlinois seront appelés aux urnes pour trancher cette question. L’association Pro Reli est parvenue, au terme d’une campagne de publicité de quatre mois où elle n’a pas ménagé sa peine, à recueillir plus de 180 000 voix en faveur de sa pétition. Ce nombre est suffisant pour contraindre Berlin à organiser un référendum local. L’association, soutenue par les églises, la CDU, le FDP et les Verts, avaient souhaité que le vote sur sa pétition ait lieu le 7 juin, le même jour que les élections au Parlement européen. Réunir les deux votes pour les Berlinois aurait eu à leurs yeux non seulement l’avantage de réduire les coûts – une date séparée pour le référendum aurait occasionné un surplus de coût de 1,4 millions d’euros – mais le nombre de votants aurait probablement été bien plus important. C’est peut-être pour cette raison que le Sénat de Berlin a décidé qu’il serait avancé au 26 avril. Cette décision complique d’autant la tâche de l’association Pro Reli, car pour voir aboutir leur objectif d’établir les cours de religion en tant que matière obligatoire au même titre que les cours d’éthique, il faudrait que 610 000 Berlinois environ votent en faveur de sa pétition.

Pour le Sénat de Berlin, le calcul a été payant. Car en dépit d’une intense publicité menée ces dernières semaines par les défenseurs de la réforme, une petite majorité, 51,3% des votants, l’ont rejetée. Les cours de religions resteront donc une matière optionnelle à Berlin.

La prime à la casse fait des vagues

La prime à la casse automobile, créée par le gouvernement fin janvier 2009 dans le cadre du plan de relance économique pour soutenir le secteur, a connu un tel succès, que l’enveloppe budgétaire prévue est passée de 1,5 à 5 milliards d’euros trois mois plus tard. La prime de 2500 € (1000 € en France) offerte à tout propriétaire qui accepte d’envoyer à la casse son véhicule âgé d’au moins neuf ans pour l’achat d’une voiture neuve, initialement limitée à un total de 600 000 véhicules, est victime de son succès. Au 1er avril, le Bafa, l’organisme chargé du recensement des demandes, en a enregistré 780 410, et l’engouement ne semble pas prêt à faiblir. C’est ainsi que les immatriculations ont augmenté de 18% au premier trimestre 2009 comparé à la même période de l’année précédente, 40% pour le seul mois de mars, et ce en dépit de la crise. Le gouvernement allemand souhaite maintenir cette offre alléchante –assortie d’aucune contrainte écologique en dépit de son nom (Umweltprämie) – jusqu’à la fin de l’année 2009 ou, éventuellement avant, jusqu’à épuisement des fonds prévus. Il est vrai que le secteur automobile, qui représente 1,1 millions d’emplois directs et indirects en Allemagne, est un des piliers de l’économie et bénéficie, à ce titre, d’un traitement de faveur.

Si les deux tiers des Allemands se disent favorables au dispositif de la prime à la casse, les voix sceptiques, voire hostiles, ne manquent pas. Il est vrai que la mesure – qui vise l’achat de véhicules neufs sans considération de leur provenance – profite essentiellement aux véhicules bas de gamme. Les producteurs de voitures de luxe tels que BMW et Mercedes, par contre, ont vu leurs ventes reculer de 26% sur la même période. Les ventes de véhicules d’occasion se sont également effondrées. Les achats se portent sur de petits véhicules d’entrée de gamme, souvent assemblés en Europe de l’Est, par des entreprises en provenance d’Allemagne, de France et d’Italie, mais aussi de Corée du Sud. Ainsi, il semblerait qu’un dixième des commandes de véhicules neufs en Pologne proviendrait d’Allemands qui bénéficient à la fois de la prime à la casse et de la faiblesse du zloty. L’engouement pour la prime produit aussi des comportement bizarres : certains acheteurs mettent à la casse des véhicules qui valent bien plus que la prime offerte par le gouvernement.

Les adversaires de cette mesure ne se contentent pas de souligner le caractère illogique du comportement de certains acquéreurs ; ils qualifient le triplement de l’enveloppe budgétaire de la prime de pur cadeau électoral à cinq mois du scrutin fédéral du 27 septembre. Le directeur de l’Institut économique de réputation mondiale ZEW n’hésite pas à la considérer comme un non-sens économique. Si les représentants des branches industrielles non concernées par la prime critiquent la mesure dans l’esprit « pourquoi pas nous ? », les représentants de l’opposition, de la gauche Die Linke jusqu’au libéraux du FDP, ainsi que bon nombre d’économistes s’interrogent sur son efficacité. Ils craignent que ce boom artificiel ne soit suivi d’un effondrement complet des ventes l’année prochaine, après l’arrêt du versement de la prime. Une forte part des voitures achetées cette année manqueront dans les ventes de 2010. En attendant, la prime à la casse s’apparente à un cadeau électoral au bénéfice de la coalition au pouvoir. Saura-t-elle infléchir le comportement des électeurs ? Réponse le 27 septembre 2009.

L’Allemagne se rallie aux anti-OGM

Par la voix de sa nouvelle ministre de l’environnement, Ilse Aigner, de la CSU, parti conservateur bavarois, le gouvernement a fait savoir le 14 avril que l’Allemagne se joignait au groupe de pays européens qui refusent la culture et la vente du maïs Mon810 produit par la firme américaine Monsanto. S’appuyant, à l’instar du Luxembourg, sur deux rapports scientifiques qui démontrent que la culture du maïs transgénique n’est pas sans danger pour l’environnement, notamment pour la survie de certains insectes tels que les coccinelles et les papillons, le gouvernement a fait jouer la clause de sauvegarde. Au ministère de l’Agriculture, on souligne que les six pays qui refusent la semence de Monsanto sont des producteurs de maïs, contrairement au pays nordiques ou à la Grande-Bretagne qui se sont prononcés en sa faveur. Si la prise de position allemande est d’importance sur le plan politique, l’incidence économique du maïs transgénique est faible. La culture du Mon810 ne devait concerner cette année que 3700 hectares de terrain, soit moins de 0,2% de la surface totale de maïs cultivé dans le pays.

L’Allemagne est ainsi le sixième Etat membre à s’opposer à la culture de cette semence transgénique, rejoignant l’Autriche, la France, la Grèce, la Hongrie et le Luxembourg. Le ralliement de l’Allemagne, poids lourd de l’UE, renforce considérablement la position des récalcitrants, notamment de la France, vis-à-vis de la Commission de Bruxelles. A deux mois des élections européennes, cette décision est embarrassante, ne venant que peu de semaines après le désaveu de la commission, lorsqu’une majorité d’Etats membres avait rejeté la levée des moratoires que les Hongrois et les Autrichiens avaient imposés à la culture du maïs transgénique. Le président de la Commission, José Manuel Barroso soutenait pour sa part la culture du Mon810, seul maïs OGM (organisme génétiquement modifié) homologué en Europe. L’autorisation de culture du maïs Mon810 remonte à 1998 au niveau européen ; elle arrive à échéance fin 2009. Une procédure de renouvellement pour dix ans est actuellement en cours. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) doit remettre un rapport à la fin de l’année pour étayer la prise de position de la Commission. En attendant les élections européennes, il est peu probable que les hostilités entre la Commission et les anti-OGM rebondissent.

Il est étonnant que l’Allemagne n’ait pas été en pointe dans le combat contre les OGM, car en dépit de sa présence très réduite sur le terrain, la culture du Mon810 a toujours été très contestée – même provisoirement interdite –, outre-Rhin depuis son autorisation officielle en 2005. Les agriculteurs craignent l’effet de contagion du maïs transgénique sur leurs cultures traditionnelles. Ils se montrent satisfaits de cette prise de position de l’Allemagne, en attendant que l’Europe entière adopte une attitude commune sur ce point. La position des anti-OGM sort renforcée du ralliement allemand.

Ouverture du procès contre les terroristes de la cellule du Sauerland

Mercredi 22 avril s’est ouvert au tribunal de haute sécurité à Düsseldorf un procès antiterroriste considéré comme le plus important depuis ceux intentés contre les membres de la Fraction Armée Rouge des années soixante-dix et quatre-vingt. Les quatre islamistes, trois Allemands dont un d’origine turque, et un ressortissant turc, projetaient de perpétrer des attentats encore plus violents que ceux qui ont eu lieu à Madrid en 2004 (191 morts) et à Londres en 2005 (56 morts). Après une enquête internationale de plus d’un an mobilisant plus de 600 personnes, la police avait arrêté, en septembre 2007, les membres de la cellule du Sauerland, du nom de cette région du sud où ils avaient élu domicile. Lors de l’interpellation des accusés, des composants permettant la fabrication de l’équivalent de 410 tonnes de TNT avaient été saisis, 100 fois plus que la quantité utilisée dans l’attentat de Londres. D’après l’accusation, ils projetaient des attentats à la voiture piégée contre des cibles américaines et allemandes, telles que des bases militaires ou des aéroports pour punir les deux pays pour leur engagement en Afghanistan. Lors de ce procès qui pourrait durer deux ans, les accusés devront répondre d’appartenance à une organisation terroriste étrangère et de préparation d’attentats à l’explosif.

L’opinion publique a réagi avec stupeur en découvrant l’existence d’un terrorisme islamiste qui s’est développé sur son propre sol, et ce d’autant plus que les deux membres allemands de la cellule proviennent d’un milieu social favorisé. Très tôt convertis, ils se sont radicalisés au contact de la communauté islamiste de leurs villes respectives, Ulm en Bavière et Neunkirchen dans la Sarre. Le parcours de ces deux Allemands qui sont passés par les camps d’entraînements au Pakistan a soulevé des interrogations sur le phénomène des convertis. D’après des informations parcellaires recueillies auprès des associations musulmanes, l’Allemagne en compterait plus de 21 000, un nombre en augmentation rapide ces dernières années. Bien que la plupart d’entre eux pratiquent un islam modéré et restent bien intégrés dans la société, ils constituent un vivier intéressant pour les recruteurs d’organisations extrémistes, car les convertis passent souvent inaperçus. Ils seraient environ 150 venus d’Allemagne à être passés dans des camps d’entraînement, dont une douzaine de convertis. La présence accrue de ressortissants allemands est également perceptible dans le fait que le pays est plus souvent que par le passé menacé par des vidéos diffusées en langue allemande.

Changement de tête à la direction de la Deutsche Bahn

Le président du directoire de la Deutsche Bahn, Hartmut Mehdorn, a présenté sa démission fin mars, cédant à des pressions de plus en plus vives depuis la révélation de pratiques d’espionnage interne au sein du groupe ferroviaire allemand. La Deutsche Bahn a reconnu avoir espionné 173 000 salariés sur les 200 000 qu’elle employait pendant les années 2002 et 2003, apparemment aussi en 2005, dans le cadre d’une enquête anti-corruption. Mehdorn, qui s’est toujours défendu d’avoir commis les faits qu’on lui reproche, a finalement accepté de démissionner pour mettre fin à la campagne virulente menée contre lui, et qui risquait de rejaillir sur la Deutsche Bahn.

Tom Enders, directeur exécutif d’Airbus, a un temps été cité comme possible remplaçant de Mehdorn, mais finalement c’est sur le nom de Rüdiger Grube que les responsables de la CDU et du SPD au sein de la grande coalition se sont accordés pour reprendre les rênes des chemins de fer allemands ainsi que du secteur logistique de la Deutsche Bahn. Grube apparaît comme une personnalité politiquement assez neutre et consensuelle, ce qui lui a valu d’être soutenu à la fois par la chancelière Angela Merkel et par son vice-chancelier et opposant aux prochaines élections législatives Frank-Walter Steinmeier. S’il connaît le domaine des transports pour être membre du directoire du constructeur allemand Daimler et président du conseil d’administration du géant européen de l’aéronautique EADS, il n’est pas du sérail, et il lui faudra gagner la confiance des cheminots et aussi celle des syndicats. Dans ce domaine, il a au moins un souci en moins, le gouvernement ayant décidé que la privatisation de la Deutsche Bahn n’était plus à l’ordre du jour, un projet auquel les syndicats sont fermement opposés. Ces derniers, notamment les deux principaux, Transnet et GDBA, ont d’ailleurs approuvé la nomination de Grube. Celui-ci a annoncé qu’il démissionnerait de la présidence du CA d’EADS dont la filiale Airbus, ironie du sort, vient de reconnaître qu’elle a également espionné ses salariés, ce qui semble indiquer que cette pratique, qui a valu à Mehdorn de perdre son poste, est assez répandue.

Brigitte.Lestrade@u-cergy.fr


L’Europe en mouvement projets et débats ** 11ème Dialogue-Franco-Allemand.

En partant du constat de la situation mouvementée de l'Europe aussi bien à l’intérieur que dans le contexte international, des propositions concrètes d’Européens plus ou moins jeunes ont fait débat lors du 11ème Dialogue Franco-Allemand – Penser l’Europe de demain. La traditionnelle conférence franco-allemande, devenue de plus en plus européenne, a été particulièrement riche en visions et controverses. L’avenir incertain du Traité de Lisbonne, le 30ème anniversaire des élections européennes lors duquel les citoyens « n’ont pas le choix » ou plus particulièrement la crise économique et financière mondiale sont les thèmes pour lesquels l’Europe est demandée. Est-elle assez solide et établie pour faire face à cette crise qui (re)pose plusieurs problèmes en même temps et auxquels une réponse à long terme doit être donnée ? L’organisation des débats s’est faite autour de l’Europe des citoyens et de l’Europe comme formation protectrice aussi bien au niveau socio-économique qu’en politique extérieure et de sécurité. Les débats revenaient également souvent à la vision de la « République européenne » posée par Stefan Collignon en ouverture des débats. L’Europe se détache-t-elle de ses propres citoyens ? Se renferme-t-elle sur elle-même ? Ce sont les questions qui se posent quand on parle de l’Europe des citoyens.

L’Europe des citoyens – comment la mettre en place ?

La stratégie de Lisbonne qui visait à faire de l’Union européenne en dix ans, l’économie la plus dynamique au monde a échoué entrainant ainsi l’échec de la méthode de coordination ouverte ainsi que de la coopération intergouvernementale. Stefan Collignon propose en échange la « République européenne », un gouvernement démocratiquement élu et actif dans les domaines concernant tous les citoyens européens (notamment la politique économique ; la technologie et la recherche ; la sécurité interne ; la politique extérieure ainsi que la défense). L’approfondissement du projet européen compris dans cette République ainsi que l’approfondissement en général comprend la restriction des capacités d’action nationales au profit d’une Union européenne plus forte tout en liant ce transfert de souveraineté à la légitimité du niveau national. Il s’agit d’une délégation pour une politique plus efficace et non pas d’un « superstate ». Il s’agit encore d’une divisibilité de la République dans le sens de la subsidiarité et non pas au sens de la souveraineté pour revenir aux présupposées de Stefan Collignon.

Si ce n’est une République, quelles autres modèles sont possibles pour arriver à une Europe des citoyens ? L’approche fédérale n’est absolument pas mûre postule Philippe Herzog, ce qui est confirmé par le manque de structures de communication et d’une communauté d’expériences. Vu l’indifférence morale, culturelle et politique qui a accompagné l’élargissement aux pays d’Europe continentale et orientale en 2004, Herzog ne peut que constater l’inexistence d’une communauté de destin pour le moment. La question cruciale est de savoir si nous, les Européens, voulons partager un avenir commun ou pas ? Le point important dans la réponse à cette question est que cet avenir ne peut pas avoir de finalité définie d’avance. Herzog propose donc un nouvel acte unique, l’Europe des projets, pour dépasser le statut quo actuel inacceptable.

Dans un même esprit est traité l’Europe à plusieurs vitesses et le rôle du couple franco-allemand. La crise actuelle peut-elle être une chance pour la coopération franco-allemande de servir à nouveau de moteur ? La prise de position commune, lors du sommet mondial des finances à Londres début avril 2009, pourrait en être un signe. L’avancée ne se fera par contre pas à deux. Un groupe dont la masse critique serait l’Eurogroupe pourrait faire preuve de la capacité de l’Europe à progresser par les crises et à saisir la volonté politique de la crise pour avancer ensemble tout en restant ouverts.

L’Europe des citoyens n’existe pas (encore). L’Europe est créée mais le peuple européen ne l’est pas encore. Bien que se pose la question de savoir si les Européens doivent aller envers l’Europe ou l’inverse, si l’Union européenne est trop éloignée des citoyens ou inversement, il faudra pour changer la qualité de la politique européenne le réconfort des citoyens. Prenons l’exemple actuel du scrutin européen. « Les citoyens sont déçus et non pas inégaux » quand ils voient qu’ils n’ont pas de réel choix sans l’existence de partis politiques européens et avec un président de la Commission européenne défini au préalable.

Le besoin d’un relais de communication s’accentue. Cette communication doit être développée à l’échelle européenne et doit commencer dès l’âge de l’école. Une communication réussie porterait l’Europe dans le quotidien des citoyens. Des initiatives innovatrices de la société civile ainsi que les nouveaux médias peuvent jouer un rôle important. A titre d’exemple, nous pouvons citer les Consultations européennes des citoyens ainsi que l’initiative Une âme pour l’Europe ou les blogs comme cafébabel, touteleurope, des Euros du Village ou de nombreux autres blogs, twitters et sites ressources.

Si on reste sceptique aux effets à long terme sur les citoyens, il faut quand même prendre en considération que l’élite européenne comprend aussi l’élite eurosceptique. L’euroscepticisme est particulièrement présent au sein des partis politiques extrêmes ainsi qu’auprès des citoyens déçus que l’on vient d’évoquer. Pourra-t-on profiter de la gestion de crise réussie pour convaincre les citoyens opposés à l’Europe des avantages et du manque d’alternative à l’Europe ? Est-ce que des mouvements d’opposition en combinaison avec les conditions de la crise actuelle pourront faire émerger un public européen critique mais européen comparable aux mouvements de résistance ayant mobilisés l’idée européenne de l’après-guerre ?

Une Europe des citoyens à travers l’image de l’Europe dans le monde

Il est difficile pour l’Union européenne de répondre aux exigences et attentes de l’extérieur et de se montrer puissante si, déjà à l’interne, l’Europe n’est pas perçue comme étant la seule forme moderne de vie collective respectant ses valeurs historiques et mettant en valeur sa diversité. Le cas de l’Inde est particulièrement intéressant quand on pose la question de l’image de l’Europe dans le monde. Anil Bhatti parle d’une complémentarité historique dans le fait qu’en Europe des états nations relativement homogènes selon leur langue, religion, culture et leur territoire se sont unifiés dans un ensemble plus grand, une formation de diversité qui est forcément plus hétérogène d’un côté et l’état hétérogène de l’Inde qui est constamment menacé de se diviser en régions homogènes de l’autre côté. L’étonnant du point de vue indien est le risque que court l’Europe et ceci de manière consciente. Le risque vu par l’Inde dans l’hétérogénéité de l’Union qui n’aurait pas à la base les compétences (du multilinguisme ou de la banalité de la diversité par exemple) pour ce qu’elle est en train de créer, est vécu comme chance du côté de l’Europe (dépasser les faiblesses de l’état nation et gérer les défis de notre monde globalisé). En ce qui concerne l’équilibre international, l’Inde souhaite une Europe forte qui contrebalance dans un monde unicellulaire et qui continue à préserver ses expériences historiques précieuses comme valeur culturelle. La leçon à tirer de la particularité des valeurs et de l’histoire pour l’Europe se confirme par la comparaison aux Etats-Unis. L’Europe ne peut pas copier ces derniers en tant qu’« Etats-Unis d’Europe » à cause de la longue tradition des états nations et à cause de la responsabilité pour le passé que l’Europe assume à travers la préservation de ses expériences. Il faut que l’Europe avec ses citoyens reconnaissent ceci comme étant une force.

Venons au continent africain. Pour l’« Africain normal », explique Amadou Ba du Sénégal, l’Europe est un endroit où on peut commencer une nouvelle vie dans des conditions financières meilleures. L’Afrique attend la négociation à la même hauteur que l’Europe ce qui s’avère difficile quant à la grille de lecture du dialogue qui reste marquée par l’histoire et des tendances néocoloniales. L’Europe n’est en outre pas vue comme entité unique mais comme assemblement de nations riches pris à part.

En ce qui concerne les attentes qu’ont des régions du monde envers l’Europe, les cas des nouveaux membres voire des candidats à l’adhésion et d’autres voisins sont également intéressants. Les motivations d’adhésion sont diverses et vont de la prospérité aux valeurs, en passant par l’échange et le fait de rejoindre un modèle. Cette Europe en tant que modèle oscille entre approfondissement et élargissement avec une tendance à l’approfondissement. Dans les têtes des citoyens, les frontières demeurent et il se pose donc la question de savoir si nous voulons vraiment rester ouverts ? Quelles capacités l’Europe a-t-elle alors pour répondre aux défis qui se posent dans un monde globalisé ? La crise économique et financière mondiale actuelle est une crise paradigmatique et latente, un début d’autres crises que vivront l’Europe et le monde. Comment l’Europe peut-elle protéger ses citoyens qui le demandent en tant qu’acteur de politique sociale ainsi qu’en tant qu’acteur sur la scène internationale.

Une Europe protectrice à l’interne – l’Europe sociale

Le marché intérieur quasiment acquis, des voix demandant la compensation sociale s’élèvent. La prospérité comme acquis majeur de l’intégration européenne est devenue synonyme de néolibéralisme et de danger pour la sécurité sociale pour les citoyens, selon Stefan Collignon. Entre politique plus sociale ou libérale, entre volontarisme et politique de l’ordre, quelle Europe voulons-nous ? Ancienne notion de discorde franco-allemande, le concept du gouvernement économique – une demande française et un terme incompris par les Allemands – débattu depuis la création de l’Union économique et monétaire, s’avère une conception clef pour une politique économique et sociale commune en Europe. Ce gouvernement viserait la coordination politique et un meilleur équilibre entre la politique monétaire et fiscale, selon l’explication d’Henrik Uterwedde. Une intervention européenne renforcée au profit de la croissance ainsi qu’un contrepoids à l’indépendance de la Banque centrale européenne sont des sous-entendus du concept. « La République européenne » avec son gouvernement démocratique présupposé ne peut pas par exemple se réaliser sans ministère des Finances, rajoute Jacques Mistral. Pour la régulation des marchés financiers, la demande d’une agence globale de surveillance des banques revient toujours avec l’argument de trouver le juste milieu entre régulation et compétitivité. Ce qui compte et dont nous avons besoin en Europe, c’est plus de coordination et la fin de jeux non-coopératifs.

Quant au débat d’un modèle économique et social européen, les débats reviennent souvent à la « renaissance » de l’économie sociale du marché comme modèle européen de référence. Bien que point crucial du clivage entre conception anglo-saxonne et de l’Europe continentale, la solidarité comme valeur fondamentale spécifique à l’Union européenne doit également être au cœur d’un modèle social européen. A l’heure actuelle, la politique sociale demeure pourtant de la compétence nationale. Même si la capacité de l’Europe à mener une politique sociale cohérente et réussie peut être redoutée en l’état actuel des choses, se pose le paradoxe entre la présence économique ainsi que son engagement en aide au développement de l’Union européenne d’un côté et son absence des grands dossiers politiques à l’international de l’autre. Quand est-ce que l’Europe puissance économique arrivera-t-elle enfin à se débarrasser de l’image de nain politique ? La demande que l’Europe « doit parler d’une seule voix » est répétée à de multiples reprises. La diversité d’intérêts et d’approches, ne peut-elle pas être l’atout d’une puissance désignée la soft power par excellence ?

L’Europe comme acteur international – quelles capacités de protection et d’action

Le problème posé dès le départ des débats est que le rôle de l’Union européenne dans le monde est crucial pour l’avenir européen en terme de sécurité interne ainsi qu’en terme de responsabilité dans le monde. Les tâches à accomplir ne peuvent être réussies qu’en tant qu’acteur homogène. Comment donc répondre aux défis, vu les processus de renationalisation actuels ? Les attentes de l’extérieur augmentent aussi bien que les propres exigences. Si nous prenons les déficits, les atouts et les instruments de cet acteur de l’Europe qui se veut une puissance civile, nous constatons une présence en tant que puissance internationale normative qui mise sur la structuration des relations internationales. La puissance civile et multilatérale n’arrive pourtant pas toujours à s’imposer et à produire des résultats.

Les déficits sont à côté des ressources – entre autres financières – le danger des clivages internes, le manque de soutien par les citoyens, le manque d’une stratégie globale commune proactive et portée aussi bien par les états membres que par les institutions au lieu d’un management de crises réactif et souvent non réussi, le manque de cohérence, volonté politique suite à un engagement ou le manque de partenaires, l’incapacité de faire prévaloir les normes multilatérales et enfin le dilemme de crédibilité entre l’aide au développement et les profits économiques et sécuritaires. Les atouts sont la puissance normative de l’Union européenne dans les relations économiques internationales ainsi que la protection de l’environnement par exemple. S’y ajoutent le fait que l’Union est productrice de biens publics globaux, sa puissance en donnant l’exemple et le fait qu’un acteur non étatique est souvent plus crédible et fiable.

Les instruments à la disposition de l’Union européenne et qui résultent du jeu entre déficits et atouts comprennent en partie des paradoxes et difficultés. Tout d’abord l’action collective et mandatée, le multilatéralisme. Ceci implique le paradoxe de la renonciation à des actions unilatérales d’un côté et le rôle important que jouent des (groupes de) grands états. Suivent les présidences actives de l’Union prenant des risques politiques importants. Ceci ne serait plus possible avec le Haut représentant qu’instituerait le Traité de Lisbonne. Ensuite la coordination, la coopération et l’interdépendance en général et enfin deux propositions supplémentaires font débat. Premièrement la diplomatie de retenu pratiquée par l’Allemagne. Peut-elle servir d’exemple pour la politique européenne de soft power puissante et crédible ? Deuxièmement, quant à l’élargissement et l’exportation de stabilité, un instrument de premier ordre, est proposé une politique culturelle extérieure commune qui rassemblerait les structures culturelles des états membres à l’étranger sous un même toit. Ceci fait particulièrement débat. L’Europe ne serait-elle pas désormais perçue comme danger par le reste du monde ? Ne pourrait-on pas la « taper » une fois qu’elle paraîtra comme un bloc uniforme ?

Les attentes envers l’Union européenne sont importantes et constamment en augmentation. S’y opposent les capacités citées pour juger de manière réaliste le rôle de l’Union comme acteur sur la scène internationale. Les débats appellent à un profil plus clair des forces et faiblesses et à poser des priorités d’action internationale. C’est à partir de situations concrètes, propositions réalistes et visionnaires ainsi que des pistes de solutions que les débats ont montré que l’Europe est sans alternative ! Ses capacités ne sont pas à sous-estimer mais la question de l’organisation politique dans un monde d’états nations reste (toujours) ouverte. Le point crucial sont les citoyens. Citons pour conclure une différence entre Américains et Européens qui consiste dans le fait que bien que des peurs individuelles soient très présentes aux Etats-Unis, les Américains font en même temps preuve d’un grand espoir collectif. Il en est de l’inverse en Europe. Aussi longtemps que ce collectif n’existera pas en Europe, la République européenne et citoyenne aura du mal à s’établir.

Notes

* Chargée de mission, ASKO EUROPA-STIFTUNG, Sarrebruck

** Pour plus d’informations sur les intervenants, veuillez consulter le programme téléchargeable sous : http://asko-europa-stiftung.de/images/AES_Dokumente/DFDProgramme/iw_programme_fr_effecif_200509.pdf


Chronique culturelle et littéraire

Dans l'actuel paysage littéraire germanophone, le paradigme de la famille comme point de départ d’une interprétation et d’une interrogation du monde continue à se maintenir avec insistance. Cela vaut pour nombre de livres qui, dans l’expectative de la commémoration des vingt ans de la chute du Mur, participent dès à présent à la remémoration littéraire de la RDA, mais pour d’autres aussi.

Points de vue sur la RDA

Depuis sa parution en septembre 2008 et l’attribution quasi immédiate du Deutscher Buchpreis 2008 en octobre dernier, la critique ne cesse d’en parler : Der Turm d’Uwe Tellkamp. Qui l’a lu, qui ne l’a pas lu, dans le train, chez le coiffeur, qui l’a aimé, qui ne l’a pas aimé – un livre qui semble mobiliser la nation entière et qui se verra décerner au cours de cette année deux prix de plus : le prix littéraire de la Fondation Konrad Adenauer ainsi que le Prix national allemand.

Cet ouvrage de 973 pages a été promu par Suhrkamp comme « le grand roman du tournant de la jeune génération ». De quoi parle-t-il ? De la RDA. En quoi se différencie-t-il des nombreux livres de fiction qui ont paru depuis une vingtaine d’années sur le même sujet ? C’est qu’il décrit les choses « telles qu’elles ont vraiment été », disent certains critiques, de même que le lecteur lambda rencontré par hasard et qui, apparemment, ne s’ennuyait pas à la lecture des longues descriptions, heureux d’y retrouver les détails anodins d’un passé qu’il avait lui-même relégué à l’oubli.

Ce qui distingue ce livre de tout ce qui a paru auparavant, c’est sa visée totalisante. Celle-ci se répercute d’abord sur le style littéraire qui se veut dans la meilleure tradition réaliste, avec un narrateur omniscient et le goût du détail, de la description. Thomas Mann est par ailleurs très tôt convoqué comme modèle à l’intérieur même du roman. Ensuite, cette visée totalisante concerne l’objet même du livre, la RDA. Alors que le noyau du récit se concentre sur un milieu très particulier et guère représentatif de la RDA – la bourgeoisie cultivée de Dresde –, le roman embrasse tout ce qui avait de près ou de loin une signification en RDA : des pratiques quotidiennes aux tabous politiques, des traditions dans les villages sorabes de la Lusace aux « villages endormis » dévastés par l’extraction de l’uranium, en passant par la fabrication des décors de Noël à Seiffen et la mort des forêts dans les Monts métallifères. Parmi ces multiples pans de la réalité est-allemande évoqués dans le roman, on trouve aussi quelques morceaux d’anthologie, par exemple quand toute une famille vêtue de manteaux aux poches bien calibrées se rend à la Foire du livre de Leipzig et développe maintes stratégies pour voler des livres aux éditeurs ouest-allemands. En dehors de l’intrigue, le roman se présente donc comme une accumulation d’informations et de matériaux. Il convoque un savoir énorme, tout ce qui s’est dit, tout ce qui s’est su sur la RDA – dans la presse, dans les arts, dans la recherche – depuis la chute du Mur et jusqu’aux productions les plus récentes (des passages entiers sur le « Paradiesvogelbar » à Dresde semblent être directement tirés du film « Der Rote Kakadu »). Visée totalisante finalement qui est annoncée dès le sous-titre – « Geschichte aus einem versunkenem Land » (« Histoire d’un pays disparu »). Il n’y a pas « une » histoire qui est racontée dans le roman, mais une multitude, alors qu’elles sont à l’avance subsumées sous le terme d’« histoire », voire d’« Histoire » dans le projet de l’auteur.

De quoi ce roman parle-t-il alors ? Juste quelques éléments qui ne prétendent pas à résumer mille pages de livre. Au centre du récit se trouvent les différentes branches d’une famille installée à Dresde dans les années 1980 (le temps de la narration va de 1982 à 1989). Les principaux protagonistes sur lesquels le narrateur se focalise sont Christian Hoffmann, au début lycéen, son père Richard Hoffmann, chirurgien dans un grand hôpital de Dresde, et Meno Rohde, lecteur dans une petite maison d’édition, oncle de Christian et frère de sa mère Anne. Ils vivent dans un quartier résidentiel de Dresde sur les collines de l’Elbe qui, avant la guerre, fut un lieu de villégiature pourvu de grandes villas et de sanatoriums – le lecteur y reconnaît sans difficulté le quartier du « Weißer Hirsch ». Les familles habitent les villas désormais délabrées et non entretenues autour de la Turmstraße, rue centrale du quartier, qui donne le nom à ses riverains (die « Türmer »). Et avec ce nom, un habitus bien particulier. Car les familles Hoffmann et Rohde se définissent comme faisant partie de la bourgeoisie cultivée, ils réclament la différence là où la volonté politique en RDA vise une égalité uniformisante, ils cultivent la tradition, aiment les antiquités et l’art, font de la musique en famille. Cette « Turmgesellschaft » à la Wilhelm Meister où le « savoir est un trésor » et où la famille, le domaine privé, devient un noyau de résistance contre l’emprise permanente de l’idéologie, tente de se créer un espace de repli, un refuge où la culture joue un rôle essentiel. C’est par la description de ce milieu d’une bourgeoisie cultivée qui a bel et bien existé en RDA que le roman de Tellkamp innove. Certains historiens le voient même comme le « témoin » d’une époque et demandent que cette partie de la société est-allemande soit à l’avenir mieux étudiée par les sociologues et historiens¹. Et en effet, le roman de Tellkamp se lit comme un argument arrivé sur le tard contre certaines thèses sur l’état de la société est-allemande en cours dans les années 1990 : il confirme la permanence des traditions contre l’idée d’une dédifférenciation de la société, comme elle a par exemple été décrite par Sigrid Meuschel.

Mais le roman ne se limite pas à la description de ce milieu et permet ainsi un panorama très vaste de cette époque : Christian évolue d’abord dans le milieu scolaire, entre ensuite à l’armée pour finir en prison et dans le milieu de la production. Son père Richard est médecin, son oncle Meno travaille dans l’édition – tous ces milieux font donc également partie de l’univers romanesque. C’est par l’intermédiaire de Meno que se font par ailleurs les liens avec la nomenclature qui réside à « Ostrom », lieu absolument opposé au « Turm », un quartier coupé du reste de la ville, surveillé par l’armée et auquel on n’accède qu’avec un laissez-passer. Meno Rohde a gardé le contact avec le pouvoir, car avec son frère Ulrich et sa sœur Anne, ils sont les enfants de fonctionnaires du KPD exilés à Moscou. Leur mère, une communiste convaincue dont les actuels habitants d’Ostrom se souviennent avec estime, y est victime de la répression stalinienne. Ce n’est que tardivement que les enfants apprennent que leur père lui-même avait dénoncé sa femme. À Ostrom, Meno côtoie l’écrivain Georg Altberg (« der Alte vom Berg ») dont il veut éditer un manuscrit, le dramaturge Eschschloraque, l’historien et économiste Jochen Londoner, le physicien Arbogast à qui appartient un grand institut de recherche, et Barsano, premier secrétaire du Parti. Derrière ces personnages, on reconnait aisément des personnalités réelles : Franz Fühmann, Peter Hacks, Jürgen Kuczynski, Manfred von Ardenne et Hans Modrow. Leurs vies ont été fictionnalisées pour permettre cette concentration d’intellectuels proches du pouvoir à Ostrom, parfois elles n’ont que peu à voir avec les personnes réelles, mais ces personnages construits sur fond réel ouvrent de leur côté une fenêtre sur les différents milieux intellectuels en RDA. De même, Tellkamp reconstitue parfois des événements en les déplaçant dans le temps, tel le tribunal de l’Union des écrivains contre Stephan Heym et d’autres en 1979, décalé ici dans les années 1980. Uwe Tellkamp, né en 1968, a travaillé à ce roman depuis une vingtaine d’années. Fils d’un médecin, médecin lui-même, il faisait partie de cette bourgeoisie cultivée de Dresde dont il donne ici la radiographie. C’est ce qui explique peut-être le caractère quelque peu rétrograde de son entreprise dont une première conséquence est l’écriture réaliste et la tentative du maintien de la perspective omnisciente, quelque peu anachroniques aujourd’hui. Le principal milieu social décrit dans le roman défend des valeurs qui se situent entre Goethe et Thomas Mann, la conception de la culture et du « savoir » y est très traditionnelle, le regard des « Türmer » est dirigé vers Weimar, lit-on.

Si ce roman peut tout à fait séduire le lecteur à plein de niveaux, le projet de l’auteur dans son ensemble peut toutefois laisser perplexe par son regard conservateur et élitiste. Que la bourgeoisie cultivée de RDA fût un îlot de la résistance contre l’emprise de l’État, certes. Mais elle n’était pas le seul. D’autres couches sociales se sont également créé leurs marges et espaces de liberté, même si cela passait par des « valeurs » moins nobles comme le jardin ouvrier ou la télévision (de l’Ouest). Ce qui manque par ailleurs à ce panorama assez complet de la RDA, c’est quelque chose qui lui était pourtant propre : la perspective ouvrière. Le milieu ouvrier n’apparaît quasiment pas, il est relégué à la marge. Ce n’est pas un problème en soi que l’auteur se concentre finalement sur son propre milieu. Cette lacune pose problème compte tenu du regard totalisant auquel ce roman aspire. La visée totalisante, encore. Celle-ci est par ailleurs peu favorable à la construction des personnages, à la présentation de leur psychologie qui s’efface trop derrière le flux d’informations que le récit véhicule. Les protagonistes restent étonnamment intangibles, uniquement esquissés pour le rôle qu’ils sont censés représenter à l’intérieur de la société est-allemande. Le roman s’arrête brusquement, avec la chute du Mur en 1989. Comme les protagonistes étaient plutôt tournés vers le passé, on ne se demande même pas s’ils peuvent vivre la disparition de la RDA autrement que par l’enthousiasme. L’épanouissement après 1989, l’intégration sans heurts dans l’Allemagne unifiée, est tout à fait prévisible. Or, d’autres perspectives sur cette époque sont possibles.

« Was weiß diese Zeit von einer anderen. » – « Cette époque, qu’est-ce qu’elle en sait d’une autre. » C’est avec ce constat, cette certitude qui n’est plus une interrogation, que s’ouvre le deuxième roman de Julia Schoch, Mit der Geschwindigkeit des Sommers (Piper, 2009). Comme dans les récits rassemblés dans Der Körper des Salamanders (2001), l’auteure scrute par la fiction les effets de la disparition de la RDA sur les individus, elle s’interroge sur cette rupture dans la vie des gens provoquée par l’Histoire. Alors que Der Turm d’Uwe Tellkamp se termine avec la chute du Mur qui apparaît comme ultime conséquence d’une évolution désastreuse qui avait commencé avec la fondation de la RDA, Julia Schoch opte pour un point de vue différent, inhabituel. La chute du Mur ne donne pas lieu à un nouveau départ, mais c’est le début d’une fin, la fin d’une vie.

Au début, il y a la nouvelle que la sœur de la narratrice s’est suicidée à New York. Cette dernière tente alors de comprendre l’acte inattendu, elle remonte dans le temps pour revisiter la vie de sa sœur, ainsi que la sienne, de leur dernière conversation téléphonique jusqu’à l’enfance. Les deux sœurs, filles d’un officier de l’armée est-allemande, grandissent dans une ville de garnison près de la frontière polonaise, une « ville neuve » uniquement construite pour l’armée, « image archétype de l’avenir », une ville qui n’a aucun rapport avec les gens qui s’y s’installent, eux-mêmes dénués – à l’opposé des personnages de Tellkamp – de toute sorte d’attaches matérielles : « Pas d’héritage, pas de propriété. » La vie se passe au fil des ans dans une sorte d’immobilité, ponctuée seulement par les activités militaires de la ville. Et cette image d’immobilité s’est transposée sur la sœur de la narratrice qui apparaît toujours égale à elle-même, toujours dans le même cadre, jusqu’au jour de sa mort. La sœur fait un apprentissage comme étalagiste, elle se marie au printemps 1989, attend son premier enfant. Lorsque le Mur tombe, cela ne semble pas l’affecter plus : « La Révolution est arrivée dans sa vie comme un orage inattendu que l’on regarde de chez soi, en sécurité. » Son mari opticien récupère le magasin familial, elle n’a pas grand-chose à faire et s’occupe de sa maison, de ses deux enfants. Une vie qui n’est pas plus mouvementée que celle d’avant. Alors que beaucoup de femmes qui avaient vécu dans les casernes avec leurs maris officiers en profitent autrement du tournant politique. Elles quittent leurs maris pour toujours, « comme si le cours de l’histoire leur avait soudain donné un argument pour une vie propre ».

Ce qui changera la vie de la sœur, ce qui « l’a sauvée alors qu’elle était coincée dans sa nouvelle vie », c’est le coup de fil inattendu d’un ancien amant, quelques années après la chute du Mur. Elle l’appelle « le soldat », puisqu’à l’époque où elle l’a connu, adolescente, il faisait son service militaire dans la ville. Le fait de revoir ce « soldat » dans sa nouvelle vie lui donne soudain le désir de se « replonger dans une époque qu’on avait complètement laissé derrière soi ». Ils reprennent leur relation amoureuse, mais lors de leurs rencontres, ils ne s’intéressent pas au présent : « Lorsqu’il était avec elle, ils se promenaient seulement en arrière vers le même espace. Le seul qui existe pour eux deux et qui existerait pour eux à tout jamais. Des excursions dans le passé. »

Peu à peu, la sœur est gagnée par la conviction que sa vie aurait pu être différente si la RDA existait encore : « Puisque l’histoire de cet État ne s’est pas terminée, puisqu’elle a été interrompue comme une heure de classe bloquée, insupportable, il était possible de s’imaginer un autre passé qui aurait eu lieu si cette heure de classe, cette expérience avait continué. » Tout d’un coup, la sœur s’intéressait à tout ce qui touchait à la RDA, elle allait à la « recherche de traces » et « se voyait elle-même dans tout cela ». Elle ne comprenait pas qu’on puisse s’intéresser aux vieux édifices d’une « époque morte », restaurés après la chute du Mur, qui n’avaient « rien à voir avec elle », « alors que ce qui était encore tout proche, ce qui en restait, disparaissait sans qu’on y prête attention ». Elle était persuadée que dans l’autre État, « une autre vie aurait été à sa disposition », elle « se sentait en bonnes mains, dans cette version non expérimentée », elle développait une « grammaire des possibilités ». Jusqu’au jour où elle décide de se séparer du « soldat ». Elle en informe la sœur au téléphone, lui dit que cette décision s’est emparée d’elle « avec la vitesse de l’été ». Et elle décide de faire un voyage, pour la première fois de sa vie. Un voyage à New York, pour y mourir.

Dans ce court roman très dense, Julia Schoch livre l’histoire d’un deuil, et d’une perte. L’auteure opte pour un point de vue qui refuse d’interpréter la RDA uniquement à partir de sa fin, elle tient compte des ambitions et possibilités qui lui étaient inhérentes, répercutées ici par un individu qui a des difficultés à s’adapter aux nouvelles données sociales et politiques. Schoch retrace finement cette perte d’un contexte et d’un cadre de vie dont on ne se rend pas compte immédiatement, car au début, chacun essaye de s’adapter au mieux, de faire avec. Mais le sentiment d’une perte, le sentiment d’une vie « volée » peut survenir des années plus tard, et il ne se laisse pas décrire par l’« ostalgie » souvent convoquée à cet égard. Schoch rappelle avec insistance que les gens ont été marqués par leur vie d’avant et que ces marques ne se laissent pas tout simplement effacer.

Un troisième regard sur la RDA, encore différent des deux premiers, est celui, documentaire et entièrement autobiographique, de Susanne Schädlich dans Immer wieder Dezember (Droemer, 2009). Son sous-titre, « L’Ouest, la Stasi, l’oncle et moi », annonce une confrontation au passé et à la famille. En décembre 1977, à l’âge de douze ans, Susanne Schädlich quitte la RDA avec ses parents et sa sœur. Son père, l’écrivain Hans Joachim Schädlich, n’est pas publié en RDA. Après avoir signé la pétition en faveur de Wolf Biermann en 1976, il perd son travail à l’Académie des Sciences. En août 1977, il publie le recueil Versuchte Nähe (Tentative d’approche) en RFA chez Rowohlt, ensuite Schädlich demande à quitter la RDA. En même temps, le Ministère pour la Sécurité de l’État tente d’instruire un procès contre lui à cause des « relations hostiles à l’État » qu’il entretient avec l’écrivain Uwe Johnson. Grâce à ses contacts avec des auteurs comme Günter Grass, Uwe Johnson, Nicolas Born ou Max Frisch, grâce à la renommée qu’il commence à avoir à l’Ouest, la Stasi abandonne l’idée de le poursuivre. Par la médiation de Günter Gaus, la famille est finalement autorisée à quitter la RDA en décembre 1977.

Dans son livre, Susanne Schädlich cherche à comprendre l’influence de l’histoire sur sa personne, elle effectue un retour sur le passé pour mieux comprendre ce qu’elle est devenue : « Il s’agit de points cardinaux par exemple. Du mot OÙ. Comme sur une boussole. Où est ma place, d’où je viens ? […] Ce qui m’importe, c’est ce qui a été et comment cela a été. Avant et après. Qu’est-ce que tout cela a fait de moi, de nous ? Vivre dans deux systèmes, d’abord en RDA, ensuite en République fédérale. Comment comprendre tout cela ? » Ainsi, l’auteure livre le descriptif de sa vie à l’Ouest, avec les difficultés d’adaptation, les nombreux déménagements entre Hambourg et Berlin-Ouest qui la déracinent à chaque fois de son nouvel environnement. Puis, il y a la lente désintégration de la famille, le père souffrant de dépressions liées à sa nouvelle vie. De nombreuses pages dévoilent aussi une partie de l’histoire littéraire vécue de près : les rencontres non officielles entre des écrivains des deux pays initiées par Günter Grass au début des années 1970 et auxquelles Hans Joachim Schädlich participait régulièrement, l’affaire Biermann, les amitiés entre auteurs. Presque vingt ans après les souvenirs autobiographiques de Klaus Schlesinger dans Fliegender Wechsel (1990), Susanne Schädlich fait parler une génération qui jusque-là est restée dans le silence, la génération des enfants de ceux qui sont partis en RFA et qui, trop jeunes, suivaient leurs parents sans avoir le choix. Une génération qui se sentait comme des « Halbmensch », « une moitié en RDA, l’autre en République fédérale ». Après la publication de Zonenkinder de Jana Hensel, on a souvent parlé de la génération de ceux qui étaient adolescents à la chute du Mur et dont l’identité était clivée entre l’Est et l’Ouest. On a oublié de parler de ceux qui avaient fait cette expérience quinze ans plus tôt.

Mais pourquoi l’auteure revient-elle maintenant sur cet épisode de sa vie ? Ce retour sur le passé est aussi la conséquence directe d’une trahison. En effet, en 1992 la famille apprend que Karlheinz, le frère de Hans Joachim Schädlich, a travaillé pour la Stasi et qu’il a joué un rôle essentiel dans l’observation de la famille. En 2007, Karlheinz Schädlich se suicide dans un lieu public. La presse en rend amplement compte tout en présentant l’ex-indicateur de la Stasi sous un jour positif : « Je le voyais s’approcher de moi comme un héros, la pipe dans la bouche, souriant, sympathique. » Pour l’auteure, « les démons du passé sont de retour », elle est de nouveau impliquée dans une histoire qu’elle a voulu garder à distance. C’est alors qu’elle décide de s’y confronter, de consulter les dossiers de la Stasi, d’interroger les témoins de l’époque, pour « donner une chronologie » à ses souvenirs afin qu’ils « forment un ensemble et qu’ils ne restent pas fragmentaires ». Tout au long de ce livre qui est à la fois investigation, introspection et réflexion, et qui de plus témoigne d’une distance critique par rapport aux archives de la police (tout ce que l’auteure trouve dans les dossiers de la Stasi ne correspond pas à la vérité), on voit se dessiner concrètement les conséquences d’un système de surveillance qui vise à la « désintégration » des personnes ciblées et qui réussit à infiltrer la famille même. Souvent prise de doutes sur l’utilité de ce travail de recherche et sur le fait de rendre publique une histoire qui, au fond, ne concerne que sa propre famille, Susanne Schädlich remarque : « Toutes ces histoires doivent être racontées. Pour qu’on reste impliqué. Pour que le point final ne soit pas mis. » Pour qu’on se souvienne aussi qu’il y a bien une différence entre victimes et bourreaux, différence qui tend à disparaître dans notre culture actuelle, et non seulement dans le cas de la Stasi.

Voyages au nom du père

Le paradigme de la famille se décline volontiers à travers la confrontation au père. Dans son dernier roman Apostoloff (Suhrkamp, 2009), distingué au mois de mars par le Prix du Salon du livre de Leipzig (Preis der Leipziger Buchmesse), Sibylle Lewitscharoff livre une version à la fois humoristique et distanciée. Installées dans une petite voiture conduite par un certain Rumen Apostoloff, la narratrice et sa sœur aînée sont en train de faire le tour de la Bulgarie. Du fond de son siège arrière qui lui donne le privilège d’un excellent point d’observation, la narratrice fait des commentaires désobligeants sur le pays qu’ils sont en train de traverser, sur les dégâts du communisme et du postcommunisme, sur une société qui, à ses yeux, est en complète déchéance. Au fil des pages, le lecteur s’aperçoit que ces propos outrageux sont directement liés à l’histoire familiale des deux femmes, nées dans les années 1950 d’un père bulgare et d’une mère allemande. Arrivé à Stuttgart à la fin de la guerre avec d’autres compagnons bulgares, le père s’y marie en 1945 et s’installe comme gynécologue. A quarante-trois ans, il se suicide alors que ses enfants sont des jeunes adolescentes.

Ce n’est pas la première fois qu’elles sont en Bulgarie, mais la raison de l’actuel voyage des deux sœurs désormais âgées d’une cinquantaine d’années, est toute particulière. Tabakoff, l’un des compatriotes de la petite communauté bulgare de Stuttgart, a un projet quelque peu surprenant : transférer en Bulgarie les dépouilles mortelles de dix-neuf de ses anciens compagnons. Cela non pas à cause d’un patriotisme découvert sur le tard, mais dans un but tout à fait intéressé. Engagé dans une entreprise qui prétend avoir découvert de nouvelles méthodes pour désintégrer les cadavres humains, Tabakoff souhaite que les restes des compatriotes servent de cobayes. À coups d’importantes sommes d’argent, il réussit à convaincre les familles et organise un transfert en grande pompe. Un cortège de limousines abritant dépouilles, familles et amis traverse l’Europe de Stuttgart à Sofia. C’est là que les deux sœurs décident de prolonger leur voyage, accompagné par Apostoloff, fils des voisins de leurs grands-parents. Trente-neuf ans après la mort du père, ce voyage déclenche une remémoration de l’enfance et la tentative de comprendre qui était ce père qui, tel le fantôme de Hamlet, hante la narratrice : « un ténébreux qui assombrissait les cœurs de ses enfants », « une personnalité complètement barbouillée », « intérieurement bousillée ». Le ton, détaché, est annoncé ; tout le livre et la structure circulaire du récit tournent autour de ce père absent, à la fois méprisé et énigmatique, et tentent d’exorciser le sentiment d’appartenir à une « machine familiale secrète qui produit sans cesse du malheur ». Cet « antiroman familial » a séduit le jury de Leipzig, attentif également à sa dimension historique, « entre l’inventaire accablant des ruines du postcommunisme et les rencontres exaltantes avec les couches plus anciennes de l’histoire, avant tout les anges et les popes et les églises. » En effet, une touche éthérée caractérise ce roman, entre les apparitions fantomatiques du père et les anges qui se détachent des vieilles icônes découvertes dans l’obscurité des églises. Mais il ne faut pas se méprendre sur cette dimension angélique, faussement consolatrice, d’un récit plein de verve et conduit avec beaucoup d’humour, frôlant souvent le grotesque. Qui se termine d’ailleurs sur ces paroles peu orthodoxes : « Ce n’est pas l’amour, pensé-je, qui arrive à tenir en respect les morts, mais seulement une haine soignée avec bonté. »

Avec Harzreise(Weissbooks, 2008), Dorothea Dieckmann entreprend un voyage d’un tout autre genre. Après la mort de son père, elle hérite d’un petit tableau représentant un « paysage allemand » autour de 1933, peint par le paysagiste Alfred Loges. Une lointaine connaissance de la famille l’avait donné au père trois ans avant sa mort. Le tableau représente un paysage somme toute banal, avec au centre un grand hêtre, au premier plan un chemin délimité par une barrière, débouchant sur une chaussée qui se perd au loin, avec au fond une petite colline. Intriguée par ce tableau représentant le pays d’enfance de son père qu’elle n’a jamais vu, intriguée par la banalité du tableau, la narratrice décide de suivre les traces du père. Elle entreprend un voyage à l’Est, de l’autre côté de l’ancienne frontière entre les deux Allemagnes, dans ce village au nom prometteur de « petite patrie », Heimburg, situé dans le Harz, non loin de Quedlinburg et Halberstadt. Avec Juri, son nouveau compagnon, elle retrouve l’ancienne propriété des grands-parents où le père a passé son enfance et sa jeunesse, mais « il n’y avait pas de traces, et les souvenirs appartenaient à d’autres ». Faute d’avoir trouvé des traces tangibles, susceptibles de parler du passé du père et de révéler les supposés secrets du tableau, la narratrice se penche de nouveau sur celui-ci une fois rentrée chez elle : « Dans ma chambre, je suis assise face à lui. Parle, dis-je, parle ! » L’accès au tableau ne réussit pas plus par la description détaillée que la narratrice en livre. Guidée par quelques vieilles notes du père, elle comprend que ce tableau, et notamment la représentation de la barrière, avait fait remonter en lui quelques « images de bonheur » de sa plus jeune enfance. L’imagination de la fille tente alors de combler les lacunes de ce qu’aurait pu être le passé : le destin de la famille sous le Troisième Reich, le père-enfant qui tente, grâce à une santé fragile, de se soustraire à l’emprise des organisations nazies, la grand-mère qui « produit » des enfants pour le Führer, qui fonde l’organisation locale des femmes nazies et qui pousse le pédiatre juif de la famille à s’exiler. L’évocation du passé, réel, imaginé, se fait de façon non linéaire, les multiples strates du passé s’entrelacent comme les destins des différentes générations de la famille.

Dans ce récit autobiographique aux réminiscences littéraires de Heine à Goethe, Dorothea Dieckmann réussit d’extraire de son histoire familiale, d’un récit de vie privée, le portrait d’une époque. Une histoire individuelle, concentrée dans un tableau anodin de paysage allemand, devient représentative de l’histoire collective. Car les paysages paisibles autour de Heimburg côtoient aussi bien Magdeburg et Halberstadt détruites par les bombes que les antennes des camps nazis, ou encore les camps soviétiques où le grand-père passera dix ans après-guerre. C’est aussi le récit d’une fille qui fait le deuil de son père au rythme de sa quête et qui tente de ne pas laisser se briser le cercle de la transmission que redoutait le père dans son journal : « […] car où finira ce tableau quand je mourrai et que ces souvenirs s’effacent ? » Mais la transmission ne peut se concevoir comme figée, il lui faut du jeu et de la distance. Ainsi, la narratrice, retournée une deuxième fois sur les lieux, finit son enquête par la recherche d’un « lieu de passage où image et espace, passé et présent, morts et vivants peuvent se rencontrer », un lieu où « l’un et l’autre se rencontrent, se réunissent et se séparent – une barrière, un portail, un seuil. »

Le Bauhaus fête ses 90 ans

Un des grands événements culturels de cette année, c’est l’anniversaire des quatre-vingt-dix ans de la fondation du Bauhaus en 1919 dont les premières années en Thuringe sont actuellement commémorées par des expositions à Weimar, Erfurt, Jena et Apolda. À partir du mois de juillet, une grande exposition « Modell Bauhaus » aura lieu au Gropius-Bau à Berlin et sera ensuite montrée à New York. C’est à Weimar que le « Staatliches Bauhaus Weimar » fut fondé en avril 1919, en fusionnant deux écoles déjà existantes de beaux arts et d’arts appliqués sous la direction de Walter Gropius. C’est la ville de Weimar, haut lieu du tourisme culturel, qui essaye actuellement d’en faire un événement de première importance, avec des expositions parsemées dans toute la ville : les beaux-arts avec des œuvres de Feininger à Kandinsky en passant par Klee et Itten au musée national Goethe, le design et le travail issu des différents ateliers au Neues Museum, l’art de la scène, du jeu et de la fête au musée Schiller et l’architecture au Haus am Horn, première réalisation architecturale d’une maison modèle du Bauhaus. L’exposition rend compte de l’ampleur des différentes activités liées au Bauhaus, elle est en outre conçue de façon à dévoiler les liens entre le premier Bauhaus et l’héritage de l’époque classique de Weimar, notamment dans le domaine de l’architecture. La ville de Weimar a par ailleurs profité de cette commémoration pour annoncer le projet de construction d’un nouveau musée consacré au Bauhaus qui remplacerait l’ancien.

Par ailleurs, un peu partout dans la ville, jusque dans les vitrines des magasins ou dans les menus des restaurants, on se réclame de l’« esprit Bauhaus ». Toute la ville semble vouloir prouver que « Weimar n’était pas seulement un éphémère prologue au mythe du Bauhaus, mais sa véritable origine et en aucun cas contingente », comme on peut le lire dans le catalogue qui accompagne les différentes expositions². Weimar a toujours réussi à s’approprier les grands noms et les grands événements de l’histoire intellectuelle et culturelle pour créer et maintenir son propre mythe. Or, certains commentateurs ne manquent pas de souligner que le rapport de Weimar à la modernité a toujours été équivoque³. Au début du XXe siècle, les efforts d’Harry Graf Kessler ou de Henry van de Velde en faveur d’un art et d’une architecture modernes ont échoué face à l’hostilité de la ville. Suite aux pressions de la droite, le Bauhaus a dû fermer en 1925 et s’installer à Dessau. Dès 1926, Weimar a accueilli les dignitaires nazis qui ont utilisé à leur manière la renommée de la ville. Cette dimension ambiguë dans le rapport à la modernité manque en effet dans les commémorations actuelles.

Notes

1 Ruth Wunnicke, « Uwe Tellkamp « Der Turm ».
Eine literarische Quelle für bürgerliche Lebenswelten in der DDR », in: zeitgeschichte-online, März 2009,
URL: http://zeitgeschichte-online.de/portals/_rainbow/documents/pdf/Tellkamp%20(FIN).pdf

2 Das Bauhaus kommt aus Weimar. Sous la direction de Ute Ackermann et Ulrike Bestgen, Berlin, Munich, Deutscher Kunstverlag, 2009, p. 10.

3 Ronald Berg, « Einst vertrieben, heute umworben », TAZ, 27 mars 2009.


Tabous de l’histoire dans les deux Allemagnes avant 1989 et après la réunification

Mise en relation avec la relecture de l'histoire engendrée par un bouleversement historique massif, la notion de tabou recouvre des réalités diverses : le silence complice qui scelle une communauté placée sous le signe de la culpabilité, le secret qui devient sans objet quand son bénéficiaire et son gardien ont disparu, l’interdit qui ne peut être bravé sans sanction symbolique ou concrète, le déni qui oblitère délibérément des faits et sert la cause d’une vérité tronquée, le consensus du silence sur les pages les moins glorieuses d’une histoire collective.

Après l’unification a été affichée l’intention de faire la lumière sur tous les aspects de l’histoire de la RDA et de ne laisser dans l’ombre aucun aspect de la dictature. Cette entreprise à laquelle se sont attelés de nombreux acteurs scientifiques, médiatiques et politiques a été servie par des conditions d’accès exceptionnelles aux sources les plus protégées et aux documents les plus confidentiels. La RDA est devenue en vingt ans le domaine le mieux exploré de l’histoire contemporaine allemande, et la pratique extensive du secret dans l’État du SED a nourri une volonté inverse de mettre en lumière les vérités cachées et de briser les tabous les concernant.

Ce processus intense de travail sur le passé ne pouvait manquer d’affecter en retour l’histoire de la République Fédérale, comme le montrent une fois de plus les révélations récentes sur la présence de la Stasi sur la scène de Berlin-Ouest au moment du déclenchement du mouvement de 1968. L’imbrication des histoires de la RDA et de la RFA est au centre des réflexions actuelles sur le renouvellement de la perspective relative aux quarante années de division allemande. Elle pose aussi la question de savoir si une correspondance peut être établie entre des tabous « asymétriquement parallèles » dans les deux états allemands. Le degré d’imbrication des deux histoires est toutefois encore loin de faire l’unanimité, et des acteurs aussi différents qu’une commission d’enquête parlementaire, l’appareil judiciaire et les historiens de diverses écoles ont sur ce point des vues assez éloignées.

Les contradictions et les conflits de nature à contredire les principes fondamentaux inscrits dans la constitution ne pouvaient pas légitimement s’exprimer en RDA, ces fondements étaient intangibles. Il n’était pas question de remettre en cause directement le rôle dirigeant du SED, le centralisme démocratique, l’alliance avec l’Union Soviétique, et l’image d’une RDA où il n’y a « ni exploitation, ni oppression, ni dépendance économique » et d’où sont bannis le militarisme, le fascisme et la xénophobie. Mais des interrogations sur ces grands principes s’exprimaient indirectement dans la littérature et les arts plastiques, contribuant grandement au succès des écrivains et des peintres et rendant de plus de plus incertaine dans les dernières années la limite des zones taboues.

La République Fédérale s’est délivrée lentement et progressivement des non-dits de l’époque de la guerre froide concernant le passé national-socialiste et son héritage, et l’antagonisme des deux États allemands, largement consensuel dans les années fondatrices, a marqué confusément les comportements et les pratiques étatiques jusqu’au-delà du terme de la réunification. Dans la « nouvelle République Fédérale », des débats refoulés selon des logiques différentes en RFA et en RDA sur la population allemande saisie comme victime et non plus seulement comme coupable du nazisme viennent combler une lacune mémorielle dont le genèse est de l’ordre du tabou.

Silke Satjukow examine les nombreux interdits relatifs à la présence massive de troupes soviétiques en RDA. Les exactions commises par l’Armée Rouge au début de l’occupation ont marqué durablement les esprits, mais la réaction de la population a été refoulée par la seule vérité admise, celle de la libération par l’Armée Rouge. Du côté officiel, la RDA n’a jamais pu ou voulu disposer de données fiables concernant l’application réelle de l’accord sur le stationnement des troupes soviétiques signé en 1957, tant l’opacité était la règle. Dans le voisinage des garnisons soviétiques, des pratiques de troc et d’échanges de services avec les entreprises et les populations locales se sont développées en marge de la légalité, l’intérêt commun étant de les dissimuler pour les pérenniser. La compétence de la justice est-allemande pour les délits commis hors des casernes était régulièrement ignorée par la justice militaire soviétique, sans que la RDA élève la voix. Les tentatives de désertion de soldats soviétiques étaient d’autant moins ébruitées qu’elles finissaient souvent de façon tragique, et le sort des couples germano-soviétiques était d’autant plus difficile à évoquer que la hiérarchie soviétique leur était hostile et les entravait systématiquement. D’une manière générale, le sacro-saint postulat de « l’amitié germano-soviétique » n’a pas conduit avant 1989 à une réconciliation réelle des peuples, mais il a contribué en dépit de son caractère formel à infléchir dans un sens positif l’image des « Russes » dans la population est-allemande.

Christian Lotz s’interroge sur le bien-fondé de la notion de tabou appliquée à la mémoire de la fuite et des expulsions. La révision de la frontière Oder-Neisse revendiquée avec force par les associations de réfugiés dès leur création en République Fédérale s’appuie sur le fait historique des expulsions et sur l’affirmation de la germanité fondamentale des territoires de l’Est. Dans cette perspective, les expulsions sont une injustice qui demande réparation, et il existe un droit au retour dans les territoires réputés spoliés. En face, la RDA développe une argumentation diamétralement opposée : les provinces perdues à l’Est n’étaient pas des territoires allemands mais des territoires polonais colonisés, et les expulsions sont en elles-mêmes une réparation historique. D’un côté comme de l’autre, toute position empreinte de compréhension envers l’adversaire est frappée de discrédit et exclue du débat. Ces positions radicales ne sont partagées ni d’un bord ni de l’autre par l’ensemble de la population, et leur acuité s’atténue à partir des années soixante avec les débuts de la détente, mais le débat reste enfermé durablement dans les accusations respectives de « revanchisme » et de « déni de droit » qui contribuent à étouffer la culture mémorielle au seul profit de l’instrumentalisation politique.

Pierre-Frédéric Weber constate l’existence en Pologne de véritables tabous concernant l’expulsion et l’intégration des Allemands après la seconde guerre mondiale. La dépendance vis à vis de l’Union soviétique entraîne un premier tabou qui concerne la perte des territoires annexés par l’Union Soviétique et le déplacement de leur population polonaise. Le déplacement de la Pologne vers l’Ouest ne doit pas être présenté comme une compensation mais comme le rétablissement d’une justice historique à l’Ouest. Un second tabou frappe par conséquent la présence allemande antérieure à 1945 dans les « territoires recouvrés » , où est menée une politique d’effacement de la présence allemande et de « dé-germanisation ». Enfin, l’expulsion brutale des populations allemandes après 1945, susceptible de remettre en cause la légitimité de la frontière Oder-Neisse, est elle-même exclue du débat. Ces trois tabous qui s’enchaînent nourrissent un antigermanisme dont la RDA doit nécessairement être exclue car elle a reconnu la frontière Oder-Neisse, fait silence sur la spécificité de la question des réfugiés et est intégrée dans l’alliance militaire du bloc soviétique. Pendant la période qui suit la signature du traité de Varsovie avec la République Fédérale (1970), la Pologne sort du déni concernant la minorité allemande restée en Pologne tout en entretenant le flou sur l’ampleur de ce groupe. Après 1989, la fin du silence fait apparaître à la fois les lacunes de la mémoire dans les générations qui ont intégré les tabous et la difficulté d’exprimer les problèmes autrefois tabous en évitant l’affrontement des formulations vengeresses et des revendications passéistes.

Patrice Poutrus souligne que le caractère massif de l’exode des habitants de RDA jusqu’à la construction du mur a relégué dans l’ombre le phénomène de la migration d’Ouest en Est qui est d’importance secondaire sans être pour autant insignifiant. Alors que les publications les plus récentes présentent ce phénomène comme un tabou interallemand que seule l’ouverture des archives de la Stasi a permis de lever, il est permis de considérer que la migration d’Ouest en Est a été autant négligée que dissimulée, et que seuls certains aspects en sont aujourd’hui éclairés par la découverte de documents nouveaux. Le flux migratoire d’Ouest en Est était alimenté dans les années 1950 essentiellement par des individus ou des familles qui avaient fui la RDA et y revenaient après une mauvaise adaptation en République Fédérale. Le SED en faisait un argument de propagande et favorisait ces retours. La RDA doit renoncer avant même la construction du mur à mener la lutte sur ce terrain. À partir des années soixante, les candidats occidentaux à une installation en RDA passent systématiquement par le filtre des camps de transit où la Stasi joue un rôle prépondérant qui conduit au rejet d’une proportion croissante de candidats (fugitifs de RDA « repentis », auteurs de délits commis à l’Ouest, agents potentiels des services de renseignement occidentaux). Dans les années 1980, les candidats sont rares alors que se multiplient les demandes d’émigration légale déposées en RDA. La population de RDA, quant à elle, considérait le retour en RDA ou le désir de s’y installer avec un mélange d’incompréhension et de méfiance comparable à l’attitude adoptée en vers les réfugiés et ouvriers étrangers.

Fritz Taubert examine les tabous entretenus en RDA sur la question de la guerre d’Algérie. Le Parti communiste algérien est supplanté par le FLN et le GPRA, non communistes, et la RDA ferme les yeux sur cette lutte interne tout en entretenant dans les médias l’illusion d’un soutien au Parti frère algérien. D’autre part, la RDA ne réussit pas, malgré ses efforts, à obtenir une reconnaissance diplomatique de la part du GPRA, dissuadé par la doctrine Hallstein. De cet échec dans la course à la reconnaissance, le public n’apprendra rien. Enfin, les rapports avec les ouvriers et les étudiants algériens accueillis en RDA sont difficiles à plus d’un titre, et largement dissimulés : Les ouvriers algériens ne se plient pas aux normes de la discipline du travail, ni aux normes de « moralité » en vigueur, et sont prompts à manier en cas de conflit l’accusation de racisme. Les étudiants algériens sont regroupés dans une association étroitement contrôlée par le FLN qui échappe totalement aux autorités de RDA et où se poursuit la lutte ouverte entre le FLN et les communistes algériens. Le débauchage par la République Fédérale des étudiants algériens accueillis en RFA se fait en outre avec la complicité des organisations du FNL. Cet ensemble complexe est dissimulé jusqu’à la disparition de la RDA.

Guillaume Mouralis s’interroge non pas sur l’existence de tel ou tel tabou, mais sur les usages sociaux et la fonction politique des « tabous » dénoncés. Prenant l’exemple du traitement judiciaire du passé de RDA, il constate que le terme d’ « épuration » (Säuberung) n’a pas sa place dans le discours des responsables judiciaires et politiques, alors que la réalité est bien celle d’une épuration professionnelle et judiciaire menée à l’encontre des anciens responsables politiques et des élites de RDA. Les nombreux procès d’épuration de la période post-communiste sont généralement justifiés par la nécessité de ne pas reproduire les faiblesses de l’épuration de l’après-guerre en RFA, de tirer les leçons du passé. On postule que la réponse judiciaire à la criminalité d’État de RDA doit être la même que pour les crimes national-socialistes. Cette assimilation est nécessaire aux acteurs politiques et judiciaires pour légitimer une épuration qui est loin de faire l’unanimité chez les magistrats et dans l’opinion publique. En dénonçant par avance toute tentative de jeter un « tabou » sur les crimes du SED, et en invoquant une continuité avec la politique mémorielle des années 1980, on a permis à la justice de jouer un rôle politique en délégitimant autant que possible les anciens dirigeants de RDA.

Heinrich Hannover pose la question de l’existence d’une justice politique à différentes époques de la République Fédérale. Sous la double influence de la guerre froide et du maintien en fonction du personnel judiciaire après 1945, les procès contre des communistes avant et après l’interdiction du KPD sont souvent marqués par une interprétation des libertés fondamentales défavorable aux accusés réputés être une menace pour l’ordre constitutionnel. La crainte généralisée de l’infiltration par les agents de la RDA conduit à assimiler de nombreux contacts inter-allemands à des activités de renseignement et à les faire condamner comme tels jusque bien après la construction du mur de Berlin. Cette pratique répandue ne touche pas seulement des communistes, mais aussi des non-communistes accusés de soutenir objectivement le régime du SED. Dans le même temps, d’anciens criminels de guerre gagnent les procès qu’ils intentent à ceux qui les accusent publiquement de complicité de génocide ou de fascisme. À partir des années 1970, la volonté de répression des activités terroristes conduit dans certains procès à des manipulations de preuves et de témoignages qui portent atteinte aux principes élémentaires de procédures. Après 1989, le procès et la condamnation d’un politicien de RDA comme Hans Modrow illustre la volonté politique à l’œuvre dans un verdict contesté.