Bien que Gabriele Wohmann, née à Darmstadt en 1932, soit surtout connue pour ses tableaux magistraux d'existences esseulées ou de couples à la dérive, il n’en demeure pas moins que le thème de l’éducation occupe dans son œuvre une place non négligeable. L’héroïne de sa première publication, Ein unwiderstehlicher Mann 1 (Un homme irrésistible) (1957), est une enseignante française qui lutte tout à la fois contre ses cheveux grisonnants et l’incurie dans l’emploi du subjonctif. La même année, Gabriele Wohmann dresse les portraits grinçants de deux femmes professseurs, portraits qui paraîtront dans des recueils ultérieurs sous le titre de Sie sind alle reizend 2 (Ils sont tous charmants) et Eine Zigarette, eine Zigarette 3 (Une cigarette, une cigarette). En 1967, soit un an avant les bouleversements sociaux entraînés par la révolte estudiantine, paraît le court roman Die Bütows 4 (Les Bütow) au centre duquel figure un père aux tendances nettement fascistes qui tyrannise toute sa famille dans le plus pur esprit nazi.

En 1968, alors que la plupart des intellectuels prennent parti, Gabriele Wohmann garde le silence, ce qui lui vaudra quelques reproches d’apolitisme de mauvais aloi. Toutefois, en 1974 elle publie un roman intitulé Paulinchen war allein zu Haus 5 (La petite Pauline était seule à la maison) dans lequel nombre de critiques verront une satire sans concession de l’éducation prétendument anti-autoritaire des soixante-huitards. Depuis, on ne compte plus dans l’œuvre le nombre de personnages d’adolescents négligés par des parents trop occupés à refaire le monde et en proie à une intarissable logorrhée. Dans la nouvelle Das Biotop 6 (Le biotop) (1994), Isaak, le fils de parents, parangons du politiquement correct, en vient même par ennui à se tourner vers l’extrême droite. Comme le démontre amplement cette galerie de portraits s’étalant sur plusieurs décennies, mieux que toute autre, l’œuvre de Gabriele Wohmann apparaît comme le reflet des mutations subies par l’éducation depuis les années 50 à nos jours. A l’heure où l’héritage de mai 68 est chaque jour davantage remis en question – quand on ne se propose pas de le liquider –, il peut sembler judicieux de se pencher sur cette œuvre littéraire afin de s’interroger sur le bien-fondé de cette nostalgie d’un âge d’or d’avant mai 68 ou, au contraire, sur les raisons de s’enorgueillir de cette révolution.

Une éducation hors du commun

Bien que la thématique d’un écrivain ne découle pas impérativement de sa biographie, l’enfance de Gabriele Wohmann semble avoir fortement marqué de son empreinte la curiosité du futur écrivain pour les questions relatives à l’éducation. Cet intérêt n’a rien de bien étonnant si l’on songe à quel point la jeune Gabriele Guyot, future Wohmann, fut élevée hors des sentiers battus. La jeune fille, née un an avant l’accession de Hitler au pouvoir, fut contrainte comme tous les enfants de son âge de fréquenter les bancs de l’école sous le nazisme. Toutefois, à la différence de ses jeunes camarades, la jeune Gabriele faisait dans le même temps à la maison l’expérience d’une éducation diamétralement opposée. Tandis qu’à l’école les élèves se voyaient inculquer, outre la lecture et l’écriture, les vertus de la discipline et de l’obéissance, il régnait chez les Guyot un climat de liberté absolue. Le père de Gabriele Guyot, pasteur de son état, avait opté pour une éducation à la Rousseau et se faisait fort d’appliquer ce principe de l’Emile selon lequel l’enfant doit avoir le droit de jouir de son enfance. Cet homme aussi sensible que lettré, doté d’une bibliothèque richement pourvue, avait l’arbitraire et la contrainte en abomination. Inlassablement, il rédigeait des lettres d’excuse lorsque ses enfants désertaient à l’occasion une institution scolaire régie par des principes contraires aux siens. A une époque où les châtiments corporels étaient considérés comme le moyen privilégié d’aguerrir le corps et l’esprit, il persistait à refuser la sanction. Tout comme la végétation pouvait se déployer librement dans le jardin du presbytère, les enfants du pasteur ne se voyaient pas opposer de contraintes. On comprendra aisément qu’un homme dont les considérations intempestives ne se limitaient pas au foyer ait eu maille à partir avec les autorités et que, dans ce combat inégal, il ne soit pas toujours parvenu à préserver sa progéniture de tout contact avec l’esprit du temps. Lorsque l’écrivain se remémore cette époque, les souvenirs qui lui reviennent sont les suivants : « Ma scolarité a coïncidé majoritairement avec le nazisme et, ne serait-ce que pour cette raison, cela a été l’horreur, avec tout ce qui allait de pair, marcher au pas, l’esprit d’équipe, mais même dans une situation politique normale, l’école, ce n’était et ne serait pas fait pour moi ; je ne parle pas là de difficultés d’apprentissage, mais d’absence de liberté, de cette idiotie d’esprit communautaire, de la stérilité intellectuelle des enseignants, de cette contrainte que constituent un gymnase, une cour d’école, de ces mécanismes de compétition et de plusieurs minutes d’intimité perdues chaque matin pendant bien trop d’années » 7. Malgré la répugnance que lui inspirait l’institution scolaire, Gabriele Guyot – qui avait un temps envisagé de quitter le lycée – finit par passer le bac avec succès mais ces souvenirs déplaisants d’enfance et d’adolescence devaient marquer son œuvre à tout jamais.

Sans doute les premières expériences acquises dans le monde du travail jouèrent-elles aussi un rôle déterminant car contre toute attente, l’étudiante en langues et civilisations romane et anglo-saxonne postula et obtint un poste de professeur à l’internat de Langeoog situé en bordure de la Mer du Nord. Gabriele Wohmann ne fit jamais une quelconque allusion à une vocation pédagogique. Il semble bien plutôt que cette activité n’ait été qu’un simple gagne-pain. Il convient toutefois de ne pas sous-estimer cette expérience si l’on garde présent à l’esprit que toutes les premières héroïnes de Gabriele Wohmann étaient, à leur tour, professeurs.

Le pédagogue comme sadique

Au centre de la première nouvelle 8 publiée en 1957 dans la revue Akzente figure une vieille fille française qui torture les étudiants d’une université américaine du Middle West avec les subtilités du subjonctif. Dans les deux autres nouvelles rédigées la même année ( Sie sind alle reizend et Eine Zigarette, eine Zigarette ), ce sont encore deux professeurs de langue qui occupent le devant de la scène. Ce qui est frappant dans ces trois récits, c’est le regard implacable porté par l’auteur sur ce corps enseignant auquel elle a, elle-même, appartenu puisque, après son baptême du feu pédagogique à l’internat de Langeoog, Gabriele Wohmann, avant de s’engager dans une carrière littéraire, a enseigné les langues dans le cadre de cours du soir organisés par la municipalité de Darmstadt ainsi que pour le compte d’une institution privée.

Certes, les personnages des nouvelles sont trop jeunes pour avoir servi la dictature nazie mais manifestement l’esprit de cette époque est toujours bien vivant… à moins que l’héritage ne soit plus ancien encore. Le lecteur ne peut guère s’empêcher de songer à l’éducation du personnage du sujet de l’Empereur dans le roman éponyme de Heinrich Mann (Der Untertan 9, 1918). Dans les classes des personnages de Gabriele Wohmann, c’est toujours, comme au début du siècle, le même ton de sous-officier prussien qui résonne. On sent les élèves se mettre au garde à vous lorsque les professeurs s’adressent à eux sur un mode qui ne supporte pas la réplique mais exige bien plutôt une obéissance absolue. Manifestement les professeurs reproduisent ici les mécanismes répressifs auxquels elles – puisqu’il s’agit toujours de femmes – ont été soumises durant leur propre scolarité. Certes, entre-temps l’Allemagne a été « libérée » mais dans les esprits, c’est toujours la même soumission – faut-il dire pathologique ? – à l’autorité qui prévaut.

Il serait toutefois réducteur de ne voir dans ces récits de Gabriele Wohmann qu’une simple critique de la société de son temps. Bien davantage, l’écrivain dresse un portrait terrifiant du métier de pédagogue qui rappelle à l’occasion le roman de Hermann Ungar Die Klasse 10 (La classe) (1927). Manifestement, tout détenteur du pouvoir est enclin à abuser de ce pouvoir qui est sien. Tel est apparemment le message qui s’inscrit en filigrane à travers ces récits. Tout comme le héros d’Ungar, les professeurs qui, chez Gabriele Wohmann, sévissent dans les classes incarnent la jouissance de l’arbitraire et du pouvoir absolu. Les élèves jugés ternes ou disgracieux sont systématiquement humiliés tandis que les adolescents avec lesquels la nature ne fut pas avare de ses charmes se voient octroyer le statut de favoris digne d’une cour royale. Pour le vulgum pecus, ces pédagogues qui font du favoritisme un art de gouverner, n’ont que le plus parfait mépris. Malheur à quiconque tombe en disgrâce ! Sa chute est rude, ses manquements sanctionnés publiquement avec un plaisir sadique non dissimulé. Le portrait que dessine Gabriele Wohmann est d’autant plus effrayant que toutes ses héroïnes présentent à un degré ou à un autre des traits névrotiques. Marcelle autour de qui tourne la nouvelle Ein unwiderstehlicher Mann se consume d’amour pour un collègue marié qui ne remarque pas même l’adoration dont il fait l’objet. Elle est atteinte du même mal que la Madame Bovary de Flaubert. Le romantisme lui a empoisonné les sens. Pourtant Emma est plus chanceuse car son amour est partagé tandis que Marcelle s’étiole avec, au fond du cœur, des réserves d’amour inentamées. L’unique plaisir qui lui soit concédé consiste à se repaître des déboires conjugaux d’autrui et à passer sa hargne sur des étudiants imperméables au raffinement de la grammaire française.

Les héroïnes de Sie sind alle reizend et Eine Zigarette, eine Zigarette apparaissent tout aussi déséquilibrées. Elles font les yeux doux aux jeunes coqs de la classe et se complaisent dans des fantasmes de midinettes. Le professeur d’anglais a l’intime conviction que les garçons la désirent et seraient prêts à tout pour ses beaux yeux. Elle entrevoit déjà son destin tragique : « Rivalité de deux adolescents passionnément amoureux de leur professeur d’une beauté exceptionnelle. La malheureuse, victime d’une admiration excessive, sera inhumée demain midi à douze heures trente au cimetière municipal. Le délit commis par ces disciples d’Eros tombe sous le coup de l’ordonnance d’amnistie pour les mineurs » 11. Les deux professeurs au centre de ces nouvelles flairent partout des allusions lourdes de sous-entendus égrillards, entr’aperçoivent des regards qui en disent long et oscillent sans cesse entre désir de séduire et haine farouche. Comme à la lecture de La classe d’Ungar, roman dans lequel un professeur paranoïaque plonge peu à peu dans les ténèbres de la folie, on ne peut s’empêcher ici de frémir en songeant que des adolescents sont abandonnés sans défense aux délires de névrosées.

Il est ici une question qui s’insinue presque obligatoirement : Gabriele Wohmann a-t-elle traité ici sous forme littéraire des expériences personnelles. Le professeur d’anglais de la nouvelle Eine Zigarette, eine Zigarette donne, comme Gabriele Wohmann au début de sa carrière, des cours du soir. Les deux matières qu’enseignent les protagonistes sont précisément celles-là mêmes qu’enseignait l’écrivain… et il existe entre Marcelle et Gabriele de troublantes assonances. Manifestement la nouvelliste connaît son sujet. Faut-il pour autant lui prêter le sadisme qui caractérise ses personnages ? Il est fort possible que Gabriele Wohmann se soit détournée de l’enseignement non seulement par manque d’intérêt pédagogique mais aussi parce qu’elle avait senti avec malaise quels instincts inavouables l’exercice du pouvoir réveille presque immanquablement et quels dangereux jeux de séduction se déroulent entre les quatre murs d’une salle de classe. A cet égard, les possibilités de lecture de ces nouvelles sont multiples. Ces récits ont quelque chose d’intemporel qui tient aux périls de la relation pédagogique en soi – d’où les parallèles possibles avec le roman d’Ungar publié en 1927 – mais dans le même temps, ils sont le reflet de l’atmosphère étouffante aujourd’hui disparue qui, à la fin des années 50, régnait en Allemagne dans l’institution scolaire, mélange de mépris et d’autoritarisme maladif répandu autour d’eux par des professeurs infatués d’eux-mêmes.

Education à la prussienne

Il n’y a pas que dans les écoles que les comportements furent façonnés par l’état d’esprit nazi. A la fin des années 50, nombreux étaient les parents qui, intérieurement, ne s’étaient pas encore libérés de l’embrigadement qu’ils avaient subi. Pourquoi, du reste ? Beaucoup de jeunes n’avaient pas perçu la discipline de fer et l’ambiance paramilitaire comme une insupportable contrainte car la vie dans les Jeunesses hitlériennes allait aussi de pair avec des excursions dans la nature, l’expérience de la vie en plein air, des veillées sous la tente autour de feux de bois dans la plus pure tradition romantique du mouvement Wandervogel 12 (Oiseaux migrateurs) fondé par Hermann Hoffmann et Karl Fischer à Berlin-Steglitz en 1896. Il n’est donc guère étonnant que des enfants qui avaient grandi ainsi aient été tentés, devenus adultes, de transmettre l’héritage de cette éducation spartiate. Nombreux étaient, du reste, ceux qui n’avaient jamais connu un autre modèle. Ce n’est pas un hasard si le roman publié en 1967 par Gabriele Wohmann a pour titre Die Bütows 13, nom aux consonances prussiennes, car Karl Bütow, le père, est un pur condensé de toutes les vertus – et de tous les travers – rattachés à l’esprit prussien. A lui seul, le titre du livre imprimé en raides caractères gothiques évoque déjà la nostalgie d’un monde rigide dont l’ordre n’avait pas encore disparu. C’est précisément ce goût de l’ordre qui anime le père, pharmacien de son état, jusqu’au fanatisme. Sa femme et lui peuvent s’enorgueillir à juste titre devant les étrangers de leur progéniture car on imaginerait difficilement enfants plus dociles. Pourtant, lorsque cela s’avère nécessaire, les parents ne répugnent pas à châtier leurs rejetons devant des invités car « la honte ajoute à la douleur des coups » 14. Du reste, les Bütow ne sont pas avares de châtiments. Le fils cadet ayant succombé au péché de gourmandise, cela fait six mois que les enfants sont privés de dessert. Lorsqu’un des enfants se fait remarquer, il peut s’attendre à se voir décerner le titre infamant de « mauviette », de « moins que rien » ou de « Polonais ». A noter que dans le roman, la liste des amabilités est plus longue encore. Tout aussi longue est la liste des sanctions : interdiction de parler, amendes, heures de consigne dans la chambre et obligation de réparer les fautes commises. Gabriele Wohmann s’étant attachée à faire ici le portrait d’un patriarcat outré jusqu’à la caricature, elle met en scène un père qui exige non seulement de ses enfants mais aussi de son épouse une obéissance absolue. Cette dernière n’a-t-elle pas promis en présence du pasteur de servir son mari jusqu’à la mort ? Impossible pourtant de taxer le monstrueux père d’insensibilité. A l’instar des nazis qui ne ménageaient aucun effort pour protéger les espèces animales – Hitler avait ordonné que l’on installât sur son domaine de l’Obersalzberg 5000 abris pour les oiseaux – Karl Bütow se montre généreux donateur lorsqu’il s’agit d’assurer « la subsistance du gibier local en période hivernale ». 15

L’éducation chez les Bütow semble obéir aux mêmes impératifs que celle des Jeunesses hitlériennes. L’objectif annoncé est d’aguerrir les enfants et de les « préparer à la vie » 16 : « Tous les enfants doivent apprendre le sens de la collectivité et la disponibilité » 17, rien que des mots d’ordre martelés à l’envi peu d’années auparavant dans toute l’Allemagne. Malheureusement, vingt ans après la fin de la guerre, ces « louables » vertus semblent sombrer dans une fâcheuse désuétude : « on ne porte plus guère d’uniformes, les idéaux sont en voie de disparition » 18. A défaut de juifs survivants à qui s’en prendre, Karl Bütow en est réduit à réserver ses tirades haineuses aux « ritals » et aux travailleurs immigrés en général. A première vue, les personnages peuvent paraître caricaturaux et il y a fort à parier que Gabriele Wohmann n’a jamais rencontré les Bütow en personne, à savoir une famille qui réunisse en son sein tous les traits de caractère les plus exécrables mais il est tout aussi probable qu’elle a connu dans les années 60 encore bien des familles résolues à élever leur progéniture dans le respect des valeurs du nazisme. Il convient toutefois de ne pas oublier que le nom « Bütow » renvoie prioritairement à la Prusse. Karl Bütow n’est donc pas seulement le fils spirituel du nazisme mais l’héritier de toute une tradition prussienne, l’émule de Diederich Hessling, le héros du roman de Heinrich Mann Le sujet de l’Empereur dont Kurt Tucholsky a pu dire : « ce livre […] est l’herbier de l’homme allemand. Il y est représenté tel qu’en lui-même : dans sa manie maladive de commander et d’obéir, dans sa brutalité et sa religiosité, dans son idolâtrie du succès et dans sa lâcheté sans nom au quotidien. » 19

C’est à une investigation analogue sur les sources du culte de l’autorité que procèdent des écrivains autrichiens comme Thomas Bernhard (L’origine, 1975) ou Josef Winkler (Le Serf, 1987) dont les œuvres apparaissent comme des règlements de compte avec leur propre enfance marquée par le nazisme (chez Bernhard) ou son héritage (chez Winkler). Dans leurs œuvres, l’obscurantisme religieux, la bigoterie et l’autoritarisme du clergé paraissent avoir ouvert la voie au nazisme et l’avoir entretenu. A chaque fois le constat est terrifiant. Tant chez Gabriele Wohmann que chez Thomas Bernhard, des années après sa défaite officielle, le nazisme continue à instiller son poison dans les esprits. On remarquera au passage à la lecture de Die Bütows (1967) à quel point la violence des acteurs de 1968 apparaît comme compréhensible. Lorsque, comme les enfants des Bütow, on a été élevé dans une prison, on ne peut s’en échapper que par la force. Qualifier les soixante-huitards de casseurs, c’est oublier un peu vite la férule sous laquelle ils ont grandi. Le « meurtre du père » qui n’a pas lieu dans le roman a été perpétré dans la rue, mais à en croire Gabriele Wohmann les coupables n’étaient pas les enfants. Du moins, force est, avec le recul, de leur accorder de notables circonstances atténuantes.

Education « anti-autoritaire »

A la lecture du roman Paulinchen war allein zu Haus 20 (1974) publié sept ans seulement après Die Bütows (1967) on mesure l’ampleur, la profondeur des bouleversements qui ont eu lieu en 1968 et immédiatement après. Ce n’était pas une simple rébellion estudiantine mais bel et bien une révolution qui avait ébranlé les fondements de la société. Dans Paulinchen war allein zu Haus, l’héroïne est une petite fille de huit ans dont les parents et les frères et sœurs ont péri dans un accident de voiture. Après avoir passé quelque temps chez ses grands-parents dans un environnement délicieusement vieillot, l’enfant est adoptée par Kurt et Christa, deux authentiques soixante-huitards. Tous deux sont journalistes free-lance et travaillent à domicile. Christa collabore entre autres à la revue Le monde de l’enfant. Pour ne commettre aucun faux-pas, ils ont, avant et après l’adoption, ingurgité une telle somme de manuels que Paula donne parfois l’impression d’être un cobaye sur lequel deux savants fous de la pédagogie se livreraient à des expérimentations in vivo. Très vite, l’enfant qui aspire davantage à recevoir de la tendresse qu’à se soumettre à des impératifs pédagogiques a la nostalgie de l’univers de ses grands-parents dont Kurt et Christa s’acharnent pourtant à dénoncer l’insupportable kitsch.

Petite fille d’une étonnante maturité – exagérée volontairement par l’auteur pour servir ses ambitions satiriques – Paula porte sur ses parents adoptifs, lesquels se considèrent pourtant comme une famille modèle, des jugements accablants, ce qui donne lieu à de joyeux règlements de compte avec les soixante-huitards et leurs marottes. Ce qui frappe d’emblée chez Kurt et Christa, c’est un intellectualisme exacerbé. De même qu’au cours des assemblées générales dans les amphithéâtres, tout devait être longuement discuté, débattu, disséqué, à la maison rien ne doit être abandonné au hasard. C’est ainsi que l’utilisation nocturne du pot de chambre par Paula est le prétexte à d’interminables ratiocinations. Il est clair que Gabriele Wohmann persifle ici allègrement le goût des soixante-huitards pour le verbiage : « Une fois encore, le pot de chambre était considéré sérieusement en tant que sujet, phénomène, symptôme et cette fois-ci comme base de discussion » 21. On a peut-être oublié aujourd’hui que les soixante-huitards étaient tout autant des réformateurs zélés que d’intarissables bavards. Paula traite ses parents adoptifs chez qui, le soir, ont lieu des « causeries » 22 de « faiseurs de phrases au cœur sec » 23. La sensibilité de l’enfant est, en effet, cruellement lésée car en guise de câlins ses parents lui offrent les lumières froides de la raison. Ils tentent ainsi de la détourner de jeux puérils comme la poupée et de sa prédilection pour la poésie d’un sentimentalisme dégoulinant. Aux yeux de Kurt et Christa, tous les jeux doivent obéir à une ambition pédagogique et les lectures ne sont pas faites pour se vautrer dans la mièvrerie mais pour avancer dans l’usage de la raison. Lorsque la petite fille rêve, on lui reproche de « vouloir se défiler face aux réalités et à la vérité » 24. Incarnations parfaites de l’esprit de 68, ses parents ne jurent que par les acquis de la psychanalyse ; ils mettent donc tout en œuvre pour « priver par avance de leurs fondements de futures névroses » 25. Comme chacun sait, c’est à cette époque que naquirent un engouement collectif pour les médecines dites douces, naturelles ou encore parallèles et un enthousiasme aveugle pour les thaumaturges en tous genres de la psyché. Kurt et Christa se conforment donc à l’esprit du temps et traînent Paula qui n’en demande pas tant chez une psychosomaticienne.

Quoique les deux parents se targuent volontiers de leur générosité d’adoptants, Gabriele Wohmann démasque l’inavouable égoïsme qui sous-tend leur entreprise. Ce qui les intéresse, c’est moins le bien-être de l’enfant que leur propre expérience. En réalité, Paula n’est pour eux qu’un « objet d’observation particulièrement riche, une pièce d’exposition, un matériau pédagogique de premier ordre » 26. Leur tolérance prétendument sans limite n’est que grossier mensonge. Malheur à l’enfant si elle s’avise de tirer du sommeil à une heure indue ces lève-tard. Mais les journalistes étant les acrobates du langage et s’entendant à merveille à emballer joliment des réalités moins plaisantes, ils n’avoueraient pour rien au monde obliger l’enfant à rester au lit. Ils préfèrent dire : « On ne la force pas à continuer de dormir, on lui apprend à vouloir continuer de dormir » 27. Tout est dans la nuance. Kurt et Christa ont un point commun avec les dictatures communistes en vogue dans ces années-là : eux aussi affirment ne vouloir que le bien de l’enfant et, c’est bien connu, la fin justifie les moyens. C’est donc le bien supérieur de l’enfant qui impose que Paula se détourne de la nourriture, des lectures et des jeux qui l’attirent. Avec leur tolérance portée en étendard, les parents sont soudain démasqués dans leur double langage. Officiellement, l’enfant « baigne dans la tolérance » 28 et il est « interdit d’interdire » 29 mais, en réalité, les interdictions sont simplement rebaptisées et deviennent des conseils bienveillants. Bien que les parents se réfèrent en permanence à des ouvrages pédagogiques, ils méconnaissent manifestement les besoins élémentaires de l’enfant. Cette dernière ne dispose d’aucune véritable intimité, d’aucune chambre dans laquelle elle pourrait se réfugier. En effet, pour ne pas nuire à la décoration intérieure de leur loft-atelier, les parents se sont contentés de lui aménager un coin couchette…

Tous comme les Bütow voulaient faire de leurs fils des hommes, le couple féministe composé de Kurt et Christa entend faire de Paula une enfant fière d’être une petite fille. Il est donc plus que regrettable que Paula aime à se faire appeler Paul et préfère souvent les jeux de garçons. Ses parents tentent désespérément de lui montrer le droit chemin de la féminité. Ils se flattent d’être des parents progressistes, de meilleurs parents. Paula semble être d’un autre avis. Pour créer un contraste, Gabriele Wohmann fait entrer en scène dans le rôle de personnages secondaires plusieurs couples du voisinage. Il y a là par exemple deux épaves avec le cœur sur la main vers lesquelles Paula se sent irrésistiblement attirée : « amour pour ce couple qui, dans son obscure thébaïde, demeurait malgré les drogues, les coups de fil suicidaires, les côtés ingérables de leur situation psychique et les accès de processus de désintégration du moi un couple très doux, tendre, auprès duquel elle sentait la nostalgie l’envahir » 30. Certes, à la différence de Christa, obnubilée par la diététique, la femme mène une vie malsaine – mais elle a le mérite de prendre Paula dans ses bras. Un autre couple, les Bechstein, fournit un contraste similaire. Aux yeux éclairés de Kurt et Christa, la mère est une matrone, une mère poule qui engraisse ses enfants, le père un « employé de bureau abruti » 31, « un abruti fini » 32, en un mot, « les Bechstein sont des petits-bourgeois » 33 – mais c’est précisément chez eux que Paula trouve ce « nid douillet » 34 qui lui manque tant chez parents adoptifs.

Faut-il voir dans cet ouvrage un roman réactionnaire, un plaidoyer pour le bon vieux temps de l’éducation petite-bourgeoise ? Plus exactement, le roman apparaît comme une critique acerbe du délire psychopédagogique des soixante-huitards, d’une éducation qui veut prématurément émanciper les enfants, qui en guise d’amour offre de la liberté et pare son égoïsme foncier d’atours trompeurs. Au-delà des personnages de Kurt et Christa, c’est à l’esprit du moment que s’en prend Gabriele Wohmann, cet esprit qui idolâtre le collectif et pour qui tout solitaire est suspect voire pervers, comme il ressort de ces paroles d’un médecin, ami de Kurt et Christa : « Moi aussi j’émettrais mes réserves quant à cette pulsion qui incite Paula à vouloir jouer les exceptions, à vouloir être différente de tout le monde. » 35 Est-ce à dire que l’éducation anti-autoritaire ne vaut pas mieux que la férule d’antan ? Même si le propos peut sembler provocant, il n’existe aux yeux de Gabriele Wohmann pas de différences notables entre les deux tyrannies pédagogiques. Seule la forme du fanatisme varie, le fanatisme, lui, perdure. A chaque fois, on est en présence de systèmes prônant l’esprit communautaire et incapables de respecter la sensibilité personnelle. A chaque fois, c’est l’individu qui est lésé dans son individualité. Il n’est donc guère étonnant que dans le roman, la préférence de Paula aille à Kurt, son père adoptif : « Kurt me comprend. Il a la volonté de m’aimer telle que je suis véritablement » 36. Telle devrait être selon Gabriele Wohmann l’ambition de toute éducation digne de ce nom mais, à en juger par son roman, les soixante-huitards ont fait passer leurs théories avant la spécificité de chaque enfant, une faute que l’écrivain semble avoir quelque mal à leur pardonner.

Bien-pensants mais mauvais parents

1968 fut l’année des grandes expériences. On innova dans tous les secteurs et dans toutes les directions, que ce soit dans la mode, dans les mœurs ou encore dans l’éducation. En 1974, lorsque parut Paulinchen war allein zu Haus, il était encore trop tôt pour apprécier avec le recul nécessaire les approches pédagogiques révolutionnaires car ce n’est qu’à ses fruits que l’on reconnaît la valeur d’un arbre. Les décennies qui suivirent se prêtèrent donc davantage au bilan qui prit, à l’occasion, la tournure d’un règlement de comptes. Dans Les particules élémentaires 37 (1998), Michel Houellebecq instruit ainsi le procès des soixante-huitards et de leurs compagnons de route. Dans ce roman fortement autobiographique dont le héros ne s’appelle pas Michel par hasard, Houellebecq montre une mère qui, dès le début des années 60, fréquente le fondateur d’une communauté réunie autour de la drogue et de l’échangisme sexuel. Lorsqu’un jour le père du narrateur, séparé de sa femme, rend visite à son fils, il le découvre abandonné, nageant dans l’urine ou les excréments. Pendant ce temps, la mère est à la plage. Son amant barbu, ivre mort, est affalé sur le lit. Le père conduit donc l’enfant chez les grands-parents où il grandit heureux – tout comme Paula avait grandi, heureuse, chez ses grands-parents avant que Kurt et Christa ne jettent sur elle leur dévolu. Depuis, la mère de Houellebecq a vertement répliqué à son fils dans un livre au titre éloquent : L’innocente 38. Il n’en demeure pas moins que Houellebecq voue une haine tenace aux soixante-huitards. A ses yeux, ils ont sacrifié leurs enfants pour pouvoir jouir sans entraves et cultiver en parfaite bonne conscience leur égoïsme. A quoi ressemble le bilan dans l’œuvre de Gabriele Wohmann ? Que sont devenus les enfants élevés dans l’esprit de 68 qui, dans les livres des années 80 et 90, apparaissent sous les traits d’adolescents ou de jeunes adultes ? Même si, à la différence de Houellebecq, irréconciliable, Gabriele Wohmann ne prononce pas un jugement sans appel, il n’en demeure pas moins que le bilan est nettement négatif.

Dans la nouvelle Freu dich nicht zu früh 39 (Ne te réjouis pas trop tôt) (1991), Kerstin, la mère, 36 ans, est un pur produit caricatural des années 60. Son métier – ethnologue – est à lui seul un clin d’œil au foisonnement anarchique des sciences humaines dans ces années-là. Comme Christa dans Paulinchen war allein zu Haus cette mère est une intellectuelle pure – et surtout dure. Apparemment, l’enseignement qu’elle a retiré du féminisme est que, tout comme « le sexe faible », « la sensibilité féminine » n’est qu’un vestige du patriarcat obsolète. C’est la raison pour laquelle elle met un point d’honneur à ne juger que rationnellement et à étouffer toute émotion. Il en résulte dans les rapports qu’elle entretient avec Regine, sa fille, une inquiétante froideur qui confine au cynisme. La jeune fille qui, pendant la nouvelle, récite l’un de ses poèmes dans lequel tout n’est qu’impressions fugitives est proprement tournée en ridicule par sa mère – qui, on ne s’en étonnera guère, n’utilise jamais de sucre mais seulement de l’édulcorant de synthèse. La mère reproche vaguement à sa fille de « se complaire dans les enfantillages » 40 et lui fait savoir qu’il est temps « d’accélérer le processus de maturation » 41, à savoir d’écarter toute sensiblerie au profit du seul usage de la raison. Au lieu de se répandre dans des tableaux impressionnistes à la manière de poètes dont les œuvres croupissent sous la poussière, Regine serait davantage inspirée d’exprimer des idées. Il n’y a pas un vers du poème de la jeune fille qui trouve grâce aux yeux de sa mère. En effet, Regine ne craint pas d’écrire : « Images de la beauté : le lourd et sombre avion militaire au-dessus de nous/ l’odeur amère dans la voiture/ Notre trajet à toute allure/ le vent froid du Nord-est » 42. Pour une authentique soixante-huitarde aux œillères de pacifiste, décidément, c’en est trop. Bien que cette mère comme les femmes de sa génération porte la tolérance comme un ostensoir, sa prétendue ouverture d’esprit atteint vite ses limites. « Et de toute façon, un avion militaire n’est jamais beau » 43, objecte-t-elle, péremptoire, en se retranchant derrière des considérations qui se veulent esthétiques.

Bien que le concept ne se soit implanté qu’au milieu des années 90, Gabriele Wohmann décoche dès 1991 ses flèches en direction des Gutmenschen, ces bien-pensants, politiquement corrects, proches des futurs « bourgeois-bohème » alter-mondialistes à la française. Une incertitude entoure l’étymologie du mot mais ce qu’il recouvre, ce sont des individus dont le comportement, en dépit de discours foncièrement mora-lisateurs, est loin d’être exempt de tout reproche. Chez ces gens, il y a un fossé de la parole aux actes et l’enfer est pavé de leurs bonnes intentions. Leurs desseins affichés sont toujours nobles et purs puisqu’il ne s’agit de rien de moins que de sauver la planète et l’humanité mais les méthodes employées pour parvenir à leurs fins et leurs agissements au quotidien sont loin d’être aussi éthérés. Dans le cas présent de la nouvelle, Freu dich nicht zu früh, Gabriele Wohmann met en scène une mère engagée dans le mouvement pacifiste et gentiment surnommée pour cette raison « l’ange de la paix » par son mari. Mais dans le même temps, cette femme a, à l’encontre de sa fille, une attitude d’une extrême agressivité sans jamais admettre la virulence de son intolérance. Cette mère qui, dans la nouvelle, s’apprête à rejoindre une manifestation pacifiste est, en réalité, une mégère qui met son éloquence au service de son agressivité. On ne s’étonnera donc pas que dans les années 90 les bien-pensants du politiquement correct aient parfois été taxés de pharisaïsme ou d’hypocrisie et que l’on soit même allé jusqu’à parler d’un terrorisme des bien-pensants. Dans la nouvelle, l’aveuglement de la mère agressive atteint un sommet lorsque, en raison de l’image de l’avion militaire dans le poème de sa fille, elle reproche à cette dernière d’être… belliciste.

Le regard porté par Gabriele Wohmann sur les bien-pensants en tant qu’éducateurs n’est pas particulièrement indulgent. Certes leurs enfants ne risquent pas la violence physique mais s’ils osent s’écarter un tant soit peu des principes inébranlables du politiquement correct soixante-huitard, ils récoltent dans le meilleur des cas des moqueries, dans le pire des cas de cuisantes humiliations. Les gifles ne sont plus que verbales mais la critique peut être tout aussi violente. Dans Freu dich nicht zu früh, la mère a pour ambition d’inculquer à sa fille « des valeurs et le sens des réalités » 44. Un refrain curieusement familier… Une fois encore, c’est ici la loi du plus fort – ou du plus cultivé – qui l’emporte. Le sentiment qui domine à la fin en dépit de toutes les simagrées pacifistes, ce n’est pas l’amour mais la haine 45. Unique bénéfice des années 60 : le féminisme a obligé les hommes à libérer leurs sentiments et à cultiver leur sensibilité, tant et si bien que dans les romans et nouvelles de Gabriele Wohmann postérieurs à 1968 ce sont les hommes qui apparaissent comme les plus sensibles tandis que leurs compagnes se conduisent comme des femmes libérées au cœur sec.

Si dans Freu dich nicht zu früh la capacité d’empathie du père parvient à contrebalancer la brutalité de son épouse, dans Die Mama hat Quartier gemacht 46 (Maman a élu domicile ailleurs) (1991), le mari et la femme sont tous deux d’insupportables parangons du politiquement correct qui abandonnent leur fille, Martina, à elle-même. Dans cette nouvelle, G. Wohmann poursuit la critique entamée dans Paulinchen war allein zu Haus. Ce n’est donc pas un hasard si les héros, les Ritsching, forment un duo de thérapeutes – la mère en tant que psychiatre et analyste, le père en tant que psychologue – car une fois encore, Gabriele Wohmann entend démontrer la vacuité du bavardage psychologique et l’égoïsme abyssal dissimulé sous un vernis de bienveillance et de générosité. Dans l’Allemagne des années 90, ces deux parents travaillent, bien sûr, et comme dans Paulinchen war allein zu Haus, ces deux individus qui théoriquement veillent au bien-être psychologique d’autrui sont, dans leur vie privée, le plus souvent indisponibles. Il est à noter que dans les deux œuvres les parents n’ont pas désiré un enfant parce qu’ils se seraient découvert une fibre maternelle ou paternelle. Pour Kurt et Christa, Paula était un objet d’observation bienvenu ; la naissance de Martina, elle, a été envisagée comme « possibilité éventuellement avantageuse » 47 et « après analyse approfondie de cette lacune psychophysiologique » 48. De tout cela il ressort qu’à la fin du XXe siècle en Allemagne, nombreux sont les enfants qui ne sont pas procréés avant tout par amour mais parce que leurs géniteurs espèrent de la procréation quelque bénéfice pour leur épanouissement personnel. Rien d’étonnant donc à ce que, par la suite, l’affection dispensée soit un peu maigre et que dans la nouvelle, Die Mama hat Quartier gemacht, Martina soit obligée d’étudier à distance ; « la paix dont les parents avaient besoin pour leur travail expliquait que Martina fût scolarisée dans un internat » 49. Même la fréquence de leurs entrevues est fixée par les parents ; ils souhaitent la visite de leur fille au moins quatre fois par an.

Ses parents étant avares de tendresse et d’affection, Martina se réfugie chez un couple du voisinage, les Adler, tout comme Paula se rendait chez deux épaves alcooliques dans le roman Paulinchen war allein zu Haus. G. Wohmann répète ici le même schéma car les Adler sont eux aussi rarement à jeun, d’autant que le mari et la femme viennent de perdre coup sur coup leur mère. Bien que les parents de Martina prétendent être les amis des Adler, ils sont incapables de partager leur tristesse. Ils s’en tiennent à une lettre de condoléances purement formelle. Malgré les mises en garde de ses parents qui, en connaisseurs professionnels des arcanes de la psyché, considèrent comme malsaines une trop grande proximité et une trop grande empathie, Martina rend visite à plusieurs reprises à ce couple en deuil, sans enfants, qui, sans un mot, la prend dans ses bras et lui offre une chaleur humaine bienfaisante qu’elle n’a jamais rencontrée auparavant. Le message est clair : les seuls êtres véritablement « humains » sont des personnes fragiles, affligées d’une infirmité, alcooliques ou droguées, car c’est précisément leur sensibilité exacerbée qui les rend capables d’empathie et qui fait qu’il émane de leur personne un sentiment de chaleur humaine. Les bien-portants débordant de santé et de vitalité qui nomment les plus faibles des oiseaux de malheur ne sont que des bavards au cœur sec et des parents indignes. Aux yeux de Martina, ses géniteurs incarnent le « terrible bon sens » 50, ce ne sont que des « gens heureux passant leur temps à classer toutes les émotions humaines » 51, incapables de se laisser aller à la confusion des sentiments pourtant seule capable de produire une humanité digne de ce nom. Il suffit que quelqu’un soit trop attaché à un être, comme la voisine à sa mère défunte, et aussitôt les condamnations pleuvent : « relation mère-fille psychotique […], extrêmement malsaine, […] le cordon ombilical n’a jamais été rompu » 52. Les sentiments doivent toujours être maîtrisés. Derrière chaque besoin d’amour un peu trop exacerbé, on flaire une névrose. Pour des femmes éclairées comme la mère de Martina ou la mère adoptive de Paula, les femmes maternelles sont des boniches, des mères-poules et des commères. Pour Gabriele Wohmann, ce sont apparemment les meilleures mères. Chez les experts de la psyché, Gabriele Wohmann déplore un fossé abyssal entre la théorie et la pratique. Le père de Martina, psychologue de son état, est par exemple en train de développer une méthode intitulée « Vivre à partir du corps » mais dans le même temps Martina s’interroge, même si elle ne formule pas sa question à voix haute : « Et moi, quand est-ce que vous me prenez dans vos bras ? » 53.

Bien qu’on ait à de multiples reprises reproché à Gabriele Wohmann de se cantonner à la description de la sphère privée de ses personnages et donc d’avoir produit une oeuvre dénuée de critique sociale, les récits examinés ici démontrent que le reproche n’est pas toujours justifié. Dans Freu dich nicht zu früh, elle n’instruit pas seulement le procès d’une mère indigne, ivre de ses certitudes, elle s’en prend aussi à travers elle aux verts, aux pacifistes et aux féministes dont elle dévoile habilement le double langage. Dans ce récit, Thomas, le père, suppose même que sa femme fréquente ces gens uniquement pour oublier que son contrat temporaire d’ethnologue universitaire n’a pas été renouvelé. En outre, G. Wohmann tourne en dérision un professeur, ami de la mère, dont le pull est plein d’asticots et dont l’antiaméricanisme est tout aussi mensonger que le pacifisme de la mère ; il « déteste les USA, mais il revient juste de '‘là-bas’’ comme il dit, il porte ces jeans et trouve chic que son fils étudie à Harvard » 54.

Dans la nouvelle, Die Mama hat Quartier gemacht, Gabriele Wohmann s’en prend cette fois-ci aux ravages de la « psy ». Ce n’est manifestement pas à la lecture de manuels que l’on développe la fibre maternelle ou paternelle. Les parents de Martina sont la preuve vivante que l’engouement post-soixante-huitard pour toutes les thérapies possibles et imaginables – comme celle du père : « Vivre à partir du corps » – n’ont en rien fait avancer les relations humaines, dans le cas présent les relations parent-enfant. Des thérapeutes renommés peuvent dans le même temps être des parents indignes. Du reste, chez Freud il est presque toujours question de libido, beaucoup plus rarement d’amour. Aussi amer que puisse être le constat, le père de la psychanalyse a admis que, d’un point de vue humain, la psychanalyse n’avait pas fait des analystes des êtres meilleurs, plus dignes 55 – ni de meilleurs parents, ajouterait Gabriele Wohmann.

L’héritage de 68

Lorsque l’on jette un regard rétrospectif sur l’œuvre de Gabriele Wohmann entamée en 1957 et qui recouvre désormais un demi-siècle, on mesure à quel point les relations entre parents et enfants ont évolué. Les enfants ne sont plus aujourd’hui des faibles qui tremblent devant leur père tout-puissant. Les Bütow appartiennent désormais au passé. Dans la nouvelle publiée il y a une dizaine d’années, Anders können sie nicht sein 56 (Ils sont incapables d’être autrement), (1995), l’héroïne, une étudiante, se comporte envers son père – chose impensable chez les Bütow – avec la plus grande familiarité : « avec mon père, on peut vraiment bien délirer, avec ma mère, ça c’est sûr ; toutefois, avec mon père qui donne aux autres l’impression d’être fermé et un peu strict, cela étonne davantage, mais alors quand il est en forme, il peut vraiment être drôle, spirituel et totalement adorable » 57. Elle appelle, du reste, ses parents « de vrais potes » 58. Dans la nouvelle Das Biotop 59 (1994), Isaak, vingt et un ans, salue ses parents « en camarade » 60 et les surnomme « Ma » et « Pep ». Les enfants sont-ils devenus plus heureux pour autant ? Ce qui est frappant, c’est le sentiment de solitude croissant qui a accompagné cette évolution. Il n’y a certes plus de conflits de générations, mais l’ancien affrontement intergénérationnel n’a pas fait place à une coexistence affectueuse, chacun vit côte à côte dans une pacifique indifférence. Le laisser-faire qui a supplanté la discipline de fer n’est ni une option pédagogique à la Rousseau destinée à laisser l’enfant donner le meilleur de lui-même à son propre rythme ni un emprunt aux vers de Goethe dans Hermann und Dorothea (1798) dont on oublie volontiers une partie :

« Denn wir können die Kinder nach unserem Sinne nicht formen
So wie Gott sie uns gab, so muss man sie lieben und haben
Sie erziehen aufs Beste und jeglichen gewähren lassen. » 61

Le laisser-faire actuel n’est bien souvent que le renoncement à toute volonté
d’éducation – contrairement aux préconisations de Goethe – et le masque souriant d’un parfait égoïsme. La liberté absolue peut conduire à un abandon total de toute com-munication. Il semble qu’avant même les sociologues, G. Wohmann ait vu se profiler les ravages d’un individualisme croissant. Dès 1981, dans la nouvelle Vor dem Schlafengehen 62, elle avait mis en scène une famille allemande typique avec enfant unique. Il est à noter que ces personnages peuvent être considérés comme les précurseurs des « bien-pensants du politiquement correct ». La mère est engagée dans une association féminine, le père pêche à la ligne. Exceptionnellement, durant le cours du récit, la famille est rassemblée devant le poste de télévision qui diffuse une émission sur les jeunes toxicomanes. En bien-pensante typique, la mère trouve les adolescents à problèmes à la télévision nettement plus intéressants que son propre fils Conny car il est beaucoup moins fatigant de compatir aux malheurs de jeunes drogués filmés que de faire la conversation à son fils. C’est pourquoi en toute discrétion, le jeune Conny avale des tranquillisants et un verre de vin tandis que devant l’écran sa mère continue à tenir des discours pontifiants selon lesquels elle serait prête à adopter d’aussi pauvres créatures. Ces dernières sont naturellement tellement plus émouvantes que son fils qui n’a rien de télégénique et végète la plupart du temps dans sa chambre au sous-sol. Ici le sentiment de solitude est perçu comme douloureux par le jeune protagoniste. Mais parfois cette même solitude est désirée. Parents et enfants veulent être laissés en paix. Dans la nouvelle Anders können sie nicht sein, l’étudiante qui n’est pas sans rappeler Monika, l’héroïne de Die Tochter 63 de Peter Bichsel, déclare : « Quand Noël approche ou n’importe quels jours de fête, je commence à apprécier jusqu’à cet idiot d’appartement à la cité universitaire. […] Je le compare, en effet, avec la maison de mes parents. Certes, là-bas, mon ex-chambre est mieux meublée, la salle de bains et les toilettes sont mieux également, mais je ne les ai pas pour moi toute seule et toute seule, c’est ça le mot le plus important » 64. C’est de ce besoin réciproque de solitude qu’est né ce que Gilles Lipovetsy évoque sous le nom d’« ère du vide » 65. Le désir effréné de s’épanouir individuellement a engendré une solitude grandissante : « Le ‘‘Moi n’habite plus un enfer peuplé d’autres ego rivaux ou méprisés, le relationnel s’efface sans cris, sans raison, dans un désert d’autonomie et de neutralité asphyxiantes. La liberté, à l’instar de la guerre, a propagé le désert, l’étrangeté absolue à autrui’’. ‘‘Laisse-moi seule’’, désir et douleur d’être seul. Ainsi est-on au bout du désert ; déjà atomisé et séparé, chacun se fait l’agent actif du désert, l’élargit et le creuse, incapable qu’il est de ‘‘vivre’’ l’Autre. » 66

Même s’il convient de ne pas idéaliser le passé, force est de convenir que les Bütow ne divorçaient pas – ou peu – tant et si bien que leurs enfants grandissaient dans une structure familiale qui, à défaut de leur offrir de la chaleur, leur offrait la stabilité. Aujourd’hui, les unions sont devenues fragiles, le « cocon familial » est plus souvent une aspiration qu’une réalité. Dans Anders können sie nicht sein, l’étudiante se plaint des querelles parentales incessantes. Il n’est donc guère étonnant qu’elle préfère rester éloignée du domicile familial. Bien que ce rôle n’incombe pas aux enfants, il n’est pas rare qu’ils soient contraints de se ranger du côté du père ou de la mère : « lorsque j’étais enfant, ils voulaient toujours m’amener à prendre parti. Dans ces moments-là, mon père qui veut que je rejoigne son parti me remet en mémoire tout le passé, il se souvient encore précisément de chaque détail par lequel elle [ma mère] l’a blessé et l’a fait souffrir, il connaît par cœur la longue liste de ses péchés. Dans ces moments-là, j’ai toujours pris mes jambes à mon cou » 67, peut-on lire dans la même nouvelle.

Manifestement, les relations familiales sont toujours aussi épineuses. L’autorité n’est certes plus un problème mais est-ce bien toujours positif sachant que nombre d’enfants auraient de bonnes raisons de se rebeller ? Toutefois comment se rebeller contre des parents qui se définissent comme foncièrement ouverts, tolérants et soi-disant toujours prêts au dialogue ? Aujourd’hui encore, les enfants qui ne sont pas respectés en tant qu’individus à part entière sont légion. Le droit rousseauiste de chaque enfant à jouir de son enfance est piétiné allègrement par tous les adultes qui privent prématurément les plus jeunes du droit à l’insouciance. Lorsque les enfants sont traités en alter ego, en interlocuteurs déjà adultes, il n’est pas rare que leur échoie en partage le rôle du thérapeute. Dans Anders können sie nicht sein, l’étudiante se souvient des confidences de sa mère : « Elle ne lui a jamais été vraiment infidèle, elle me l’a dit un jour ; je n’avais aucune envie d’entendre parler de cela mais elle avait un peu trop forcé sur la boisson et dans ses moments-là, elle adore se confier et bavarder » 68. En théorie, les parents devraient donner l’exemple d’une coexistence harmonieuse mais cela ne se vérifie que dans une infime minorité de cas. La plupart du temps, l’enfance, cette époque que l’on dit la plus belle de la vie, est assombrie par les querelles des adultes. C’est pour-
quoi l’étudiante que nous venons d’évoquer a le sentiment d’avoir été privée de son enfance : « Peut-être que ma petite cervelle d’enfant se manifestait déjà en exprimant cette exigence : tu as besoin d’une enfance, alors file. Ne reste pas là quand ils se disputent et qu’ils crient, n’écoute pas, c’est le seul moyen pour toi de profiter d’une enfance vraiment agréable et qui a son importance » 69. Certes la liberté presque absolue conquise en 1968 sur les barricades est une belle chose mais la liberté que les enfants ont obtenue – et qui va souvent de pair aujourd’hui avec la démission ou l’indifférence parentales – n’engendre pas en retour l’amour ou le respect des adultes. On rencontre même souvent un ressentiment envers leurs comportements coupables comme l’illustre cette question de l’héroïne d’Anders können sie nicht sein : « Comment ? Si je ne m’intéresse pas suffisamment à mes parents ? Ce qui voudrait dire que je ne les aime pas comme une fille devrait aimer ses parents. Alors, après tout ce à quoi je viens de faire allusion, vous arrivez encore à trouver cela vraiment étonnant ? » 70. A lire cela, on pourrait avoir facilement l’impression que tout ce qui a été fait depuis 1968 n’a été qu’une succession d’erreurs. Est-ce à dire que Gabriele Wohmann mérite l’étiquette de « nouvelle réactionnaire » que l’on a apposée par exemple à un Houellebecq 71 ? Il convient de noter que son discours n’est pas politique au sens strict du terme à l’inverse de celui du chroniqueur du Stern Hans-Ulrich Jörges ou de l’historien conservateur Arnulf Bahring. Jörges n’y va pas par quatre chemins : « On se fourvoie. Finissons-en avec les mythes de 68 ! Ceux qui étaient prétendument contre l’autorité étaient politiquement totalitaires. Ils n’ont pas frayé un chemin à la liberté mais au terrorisme et la répression exercée par l’Etat. […] Les soixante-huitards ont chassé l’air irrespirable de l’époque d’Adenauer ? Quelle idiotie ! La libéralisation de la société était en marche depuis longtemps déjà, elle avait débuté des années auparavant ! » 72. Bahring se souvient aujourd’hui, outré : « C’était la populace qui gouvernait, on exerçait des pressions sur les collègues si bien que les sujets d’examens circulaient sous le manteau » 73. Le discours de Gabriele Wohmann n’est toutefois pas dénué de connotations politiques. Si Andreas Okopenko voyait en 1964 dans son écriture « la révolte d’un tempérament individuel jeune, sensible, complexe et pas encore rentré dans le rang, contre les
normes de la vie petite-bourgeoise » 74, on pourrait ajouter qu’entre-temps Gabriele Wohmann a embroché sur la pointe acérée de sa plume les « bien-pensants du politiquement correct »… mais ne sont-ils pas, au fond, les petits-bourgeois d’aujourd’hui ?

Pourtant Gabriele Wohmann est demeurée fidèle à elle-même. Elle n’écrit pas pour dénoncer le chaos qui règne dans les écoles, le tourisme sexuel comme avatar de la libération sexuelle ni le dégoût de la politique qui a succédé au vide idéologique. Son terrain de prédilection reste la sphère privée. Aujourd’hui comme hier, ce qu’elle dépeint, c’est « la fragilité des relations, le caractère incertain des liaisons, l’angoisse face à la vie, le désarroi des individus, les malentendus qui les séparent » 75 et « l’incapacité à communiquer, à se comprendre, ne serait-ce qu’à nouer des contacts » 76. Que 68 y ait changé grand chose paraît plus que douteux. L’affirmer suffit-il pour être traité de « réactionnaire » ? Parmi les nombreux ouvrages ayant pour objet l’héritage de 1968, il en est un qui pourrait être propre à séduire Gabriele Wohmann. Eloge de la discipline. Pamphlet (Lob der Disziplin. Eine Streitschrift) 77, tel est le titre de ce livre signé Bernhard Bueb, lequel a passé son doctorat précisément en 1968 avant que de diriger de 1974 à 2005 le prestigieux internat de Salem. Son bilan est le suivant : « Pendant des décennies nous avons souffert du fait que l’autorité soit systématiquement remise en cause, que la discipline soit devenue un mot monstrueux et que le sacrifice soit devenu une notion étrangère, que les rituels, les conventions utiles, les formes précieuses dans les contacts entre individus aient été abolis et que l’individualisation ait connu des excès. En matière de pédagogie, les excès sont toujours fatidiques. Nous sommes, je crois, en train de trouver un juste milieu à la pratique pédagogique » 78. Voilà des propos auxquels Gabriele Wohmann souscrirait, à n’en pas douter, car lorsque, au cours d’un entretien qu’elle nous avait accordé en février 2008, nous lui avions demandé si elle considérait que les enfants étaient plus heureux aujourd’hui qu’avant 1968, elle nous avait répondu : « Plus heureux ? Les enfants ne le sont certainement pas. Je n’aurais aucune envie d’être un enfant dans ce monde d’ordinateurs. Aucune poupée. Aucun jeu qui stimule l’imagination. La seule chose qu’ils aient apprise de leurs parents, c’est ‘‘ce qui compte dans la vie, c’est de s’amuser’’ et ‘‘les vacances sont le meilleur moment e l’année’’. Pour moi, ce n’est pas la devise pédagogique idéale. Je trouve cela d’un ennui ! » 79 A l’en croire, le sort des pédagogues d’aujourd’hui n’est guère plus enviable. Lorsque nous lui avions demandé quel conseil elle souhaiterait prodiguer à un futur professeur, sa réponse avait été : « Assurez-vous bien d’avoir les nerfs solides ! Aujour-d’hui, enseigner est devenu plus difficile. Pour rien au monde, je ne voudrais être professeur l’espace d’une semaine ! » 80

Notes

1. Gabriele Guyot, Ein unwiderstehlicher Mann, Akzente, édité par Hans Bender et Walter Höllerer, Hanser Verlag, Munich, 1957.

2. Nouvelle écrite en 1957. Publiée dans le recueil Sieg über die Dämmerung, Munich, Piper, 1960, citée d’après l’édition DTV, Munich, 1981.

3. Nouvelle écrite en 1957. Publiée dans le recueil Trinken ist das Herrlichste, Darmstadt, Roether, 1963, citée d’après Alles zu seiner Zeit, Munich, DTV, 1987.

4. G. Wohmann, Die Bütows, Eremiten-Presse, Stierstadt im Taunus, 1967.

5. Paulinchen war allein zu Haus, Darmstadt, Luchterhand Literaturverlag, 1974.

6. Recueil « Das Salz, bitte ! », Munich-Zurich, Piper, 1994, p. 144 sq.

7. « Schulzeit : überwiegend Nazizeit und schon deshalb ein Schrecken mit den ganzen Gruppengeist-Marschtritt-Begleiterscheinungen ; aber auch unter politischen normalen Verhältnissen war und wäre die Schule nichts für mich, ich rede nicht von Lernschwierigkeiten, sondern von Unfreiheit, Gemeinschaftsblödsinn, Denköde der Pädagogen, vom Zwang einer Sporthalle, eines Schulhofs, von Wettbewerbsmechanismen und mehreren verlorenen Privatminuten jeden Morgen zu viele Jahre lang », cité d’après Hans Wagener, Gabriele Wohmann, Berlin, Colloquium Verlag, 1986, p. 9.

8. Ein unwiderstehlicher Mann, cf. ci-dessus.

9. Heinrich Mann, Der Untertan, 1918, traduction française : Le sujet de l’Empereur, Paris (Gallimard) 1982.

10. Hermann Ungar, Die Klasse, Berlin, Rowohlt Verlag, 1927. Traduction française de Béatrice Durand Sendrail : La classe, Toulouse, Ombres, 1989. cf. Benoît Pivert, « L’enfer de la classe », Paris, Le Nouvel Observateur, n° 2027, 11 septembre 2003.

11. « Rivalität zweier Halbwüchsiger, die ihre ungewöhnlich attraktive Lehrerin mit fanatischer Leidenschaft liebten. Das bedauernswerte, zu sehr verehrte Opfer wird morgen Mittag, zwölf Uhr dreißig auf dem Stadtfriedhof beigesetzt. Die Schuld der Jünger des Eros fällt unter die Jugendamnestie », G. Wohmann, Sie sind alle reizend, R. Piper & Co. Verlag, Munich, 1960, cité d’après l’édition DTV, Munich, 1981, p. 57.

12. A noter toutefois que le mouvement Wandervogel était initialement d’inspiration libertaire, prônait la révolte contre la bourgeoisie répressive et autoritaire, l’absence d’encadrement et la mixité sexuelle, ce qui lui valut d’être interdit par les nazis dès 1933.

13. G. Wohmann, Die Bütows, Eremiten-Presse, Stierstadt im Taunus, 1967.

14. « Scham verschärft den Schmerz der Schläge », ibid.

15. « für die Winterfütterung des einheimischen Wilds », ibid., p. 19.

16. « Vorbereitung fürs Leben », ibid., p. 15.

17. « Alle Kinder sollen Gemeinschaftsgeist und Einsatzbereitschaft lernen », ibid. p. 24.

18. « Uniformen werden kaum noch getragen. Ideale sind im Schwinden », ibid.

19. « Dieses Buch [...] ist das Herbarium des deutschen Mannes. Hier ist er ganz : in seiner Sucht zu befehlen und zu gehorchen, in seiner Rohheit und in seiner Religiosität, in seiner Erfolganbeterei und in seiner namenlosen Zivilfeigheit », Kurt Tucholsky, « Der Untertan », Die Weltbühne, 20. 03. 1919, Nr. 13, S. 317.

20. G. Wohmann, Paulinchen war allein zu Haus, Hermann Luchterhand Verlag, Darmstadt et Neuwied, 1974. Cité d’après l’édition Sammlung Luchterhand, 1988.

21. « der Nachttopf wurde [...] noch einmal ein Thema, ein Phänomen, ein Symptom und diesmal als Diskussionsgrundlage, ernstgenommen », ibid., p. 24. NB: en italique dans le texte original.

22. « Geselligkeitsplaudereien », ibid., p. 25.

23. « Kühle Sätzemacher », ibid., p. 39.

24. « sich vor den Wirklichkeiten und Wahrheiten drückt », ibid., p. 4.

25. « die Grundlage für spätere Neurosen abzubauen », ibid., p. 30.

26. « ein besonders ergiebiges Anschauungsobjekt, ein richtiges Schaustück, ein Lernmaterial erster Klasse », ibid. p. 9.

27. « Sie wird nicht gezwungen, weiterzuschlafen, sie wird gelehrt weiterschlafen zu wollen », ibid., p. 59.

28. « eingebettet in Toleranz », ibid., p. 53.

29. « Verbotsverbot », ibid., p. 12.

30. « Liebe zu dem Ehepaar, das in der düsteren Einsiedelei trotz der Drogen, Selbstmordtelefonate und Unzumutbarkeiten ihrer psychischen Lage und schubweisen Ichzerfallsprozesse dem Kind ein ganz sanftes, zärtliches, anheimelndes Ehepaar war», ibid., p. 173. NB: en italique dans le texte original.

31. « sturer Bürohengst », ibid., p. 137.

32. « ein sturer Heini », ibid.

33. « die Bechsteins sind Spießer », ibid.

34. « die Nestwärme », ibid., p. 139.

35. « Auch ich habe so meine Vorbehalte gegen den Trieb von eurer Paula, ein Ausnahmeexemplar zu sein, anders als alle andern », ibid., p. 126.

36. « Kurt versteht mich. Er will mich als das lieben, was ich in Wahrheit bin », ibid., p. 127.

37. Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, Paris, Flammarion, 1998.

38. Lucie Ceccaldi, L’innocente, Paris, Scali, mai 2008.

39. Recueil de nouvelles Er saß in dem Bus, der seine Frau überfuhr, Hambourg – Zurich, Luchterhand Literaturverlag, 1991.

40. « sie reite auf ihrer Kindlichkeit herum », ibid., p. 226.

41. « ihren Reifeprozess an[zu]kurbeln », ibid.

42. « Was schön ist : Das schwere dunkle Militärflugzeug über uns / Der bittere Geruch im Auto/ Unsere schnelle Fahrt/ Der kalte Nordostwind [...] », ibid.

43. « Und ein Militärflugzeug ist sowieso niemals schön » ibid., p. 227.

44. « Wertmassstäbe und Sinn für Realität », ibid., p. 231.

45. « […] von nun an, Thomas spürte es, hasste sie [die Tochter] Kirsten [die Mutter] ». Ibid.

46. Recueil de nouvelles Er saß in dem Bus, der seine Frau überfuhr, Hambourg – Zurich, Luchterhand Literaturverlag, 1991, p. 32 sq.

47. « vielleicht gewinnbringende Möglichkeit », ibid., p. 32.

48. « nach gründlicher Analyse dieser psychophysiologischen Lücke », ibid.

49. « [der] Arbeitsfrieden der Eltern war das Motiv für Martinas Schulzeit im Internat », ibid., p. 44.

50. « fürchterlichen gesunden Menschenverstand », ibid., p. 37.

51. « glückliche, jede menschliche Regung einordnende Menschen », ibid. p. 39.

52. « psychotische Mutter-Tochterbindung, [...], extrem ungesund, [...] nie war diese Nabelschnur durchschnitten », ibid., p. 52.

53. « Und mich ? Wann umarmt ihr mich ? », ibid., p. 42.

54. [er] « hasst die USA, war aber doch gerade mal wieder ‘drüben’, wie er das nennt, trägt diese Jeans und findet es schick, dass sein Sohn in Harvard studiert », Freu dich nicht zu früh, p. 235.

55. Lire à ce propos Catherine Mayer, Mikkel Borch-Jacobsen, Jean Cottraux, Didier Pleux, Le livre noir de la psychanalyse, Paris, Les Arènes, septembre 2005, p. 248.

56. Dans le recueil de nouvelles Die Schönste im ganzen Land, Munich - Zurich, Piper, 1995, p. 243 sq.

57. «mit meinem Vater kann man Quatsch machen, mit meiner Mutter sowieso, aber bei meinem Vater, der auf andere eher verschlossen und etwas streng wirkt, erstaunt es mehr, ja und dann ist er witzig und geistreich und richtig süß, wenn’s ihm gut geht », ibid., p. 243.

58. « richtige Kumpels », ibid.

59. Dans le recueil « Das Salz, bitte ! », Munich - Zurich, Piper, 1994, p. 144 sq.

60. « kameradschaftliche Art », p. 145.

61. « Car nous ne pouvons façonner les enfants à notre guise/ Tels que Dieu nous les a donnés, il nous faut les aimer et les accepter/ Les éduquer de notre mieux et laisser faire chacun. » C’est nous qui soulignons. J.W. von Goethe, Hermann und Dorothea, 1798, http://www.goethezeitportal.de/index.php?id=3011.

62. Gabriele Wohmann, Vor dem Schlafengehen, Düsseldorf, Eremiten-Presse, 1981.

63. Peter Bichsel, Die Tochter in Eigentlich möchte Frau Blum den Milchmann kennen lernen, 1964. La date de parution montre que l’individualisme se dessinait déjà avant 1968. Dans ce texte, des parents, en adoration devant leur fille, Monika, passent leurs soirées à l’attendre. A son arrivée, elle n’a rien à leur dire.

64. « Wenn es auf Weihnachten oder sonst irgendwelche Feiertage zugeht, fange ich an, sogar mein blödes Apartment im Studentenwohnheim gut zu finden. [...] Ich vergleiche es nämlich mit zu Haus. Dort ist mein Ex-Zimmer zwar besser möbliert, Bad und WC sind auch besser, aber die habe ich nicht für mich allein, und allein, das ist schon das Stichwort », Recueil : Die Schönste im ganzen Land, Munich-Zurich, Piper, 1995, p. 243.

65. Gilles Lipovetski, L’ère du vide. Essai sur l’individualisme contemporain, Paris, Folio essais, 1993.

66. ibid. p. 68.

67. « als ich noch ein Kind war, da wollten sie mich schon dazu bringen, dass ich Partei ergreife. [...] Dann mahnt mein Vater, der will, dass ich bei ihm Parteimitglied werde, die samt und sonders in seinem Gedächtnis registrierte Vergangenheit an, er weiß wirklich noch jede Einzelheit, mit der sie ihn verletzt und ihm geschadet hat, die ganze lange Sündenlatte. Ich bin dann immer weggelaufen », op. cit., p. 245.

68. « Richtig untreu ist sie ihm nie gewesen, sie hat es mir einmal gesagt, ich wollte überhaupt nichts davon wissen, aber sie war damals gerade wieder ins Glas gefallen, und dann ist sie immer vertrauensselig und gesprächig », ibid., p. 246.

69. «Vielleicht hat sich mein kleiner Kinderverstand schon gemeldet mit der Forderung: Du brauchst eine Kindheit, also mach dich aus dem Staub. Zieh ab, wenn sie sich zanken und schimpfen, hör dir das nicht an, damit du zu deiner richtigen guten wichtigen Kindheit kommst », ibid.

70. « Wie bitte ? Ob ich mich nicht genug für meine Eltern interessiere ? Was bedeuten würde: Ich liebe sie nicht, nicht wie eine Tochter ihre Eltern lieben müsste. Ja, finden Sie das eigentlich nach allem, was ich hier angedeutet habe, denn wirklich erstaunlich ? », ibid., p. 248.

71. Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre : enquête sur les nouveaux réactionnaires, Paris, Editions du Seuil, 2002.

72. « Irrweg. Schluss mit den Mythen von 68! Die vermeintlich Antiautoritären waren politisch totalitär. Sie haben nicht der Freiheit den Weg gebahnt, sondern dem Terror und der staatlichen Unterdrückung. [...] Die 68er haben den Muff der Adenauer-Zeit ausgetrieben ? Welcher Unsinn ! Die Liberalisierung der Gesellschaft war längst unterwegs, hatte Jahre zuvor begonnen», Hans-Ulrich Jörges, « Irrweg. Schluss mit den Mythen von 68! », Stern-Magazin, 3.01.2008, p. 84.

73. « Der Mob regierte, erpresste Kollegen, sodass die Prüfungsthemen unter der Hand gerieten », « Lasst Zeitzeugen sprechen ! », Stern-Magazin, 29.11.2007, p. 86.

74. « Protest der jungen gefühlsstarken, komplizierten, nicht gleichgebogenen Individualität gegen die Normen des Spießerlebens », Andreas Okopenko, Wort in der Zeit, 3/1964, p. 59.

75. « die Brüchigkeit der Beziehungen, die Fragwürdigkeit der Bindungen, die Angst vor dem Leben, die Ratlosigkeit der Menschen, die Missverständnisse, die sie voneinander trennen », Marcel Reich-Ranicki, « Bitterkeit ohne Zorn », in Gabriele Wohmann-Materialienbuch, édité par Thomas Scheuffelen, 1977, p. 61.

76. « Unfähigkeit, einander etwas mitzuteilen, einander zu verstehen oder auch nur Kontakte herzustellen », ibid., p. 58.

77. Bernhard Bueb, Lob der Disziplin. Eine Streitschrift, Ullstein TB, avril 2008.

78. « Wir haben Jahrzehnte darunter gelitten, dass Autorität grundsätzlich angezweifelt wurde, Disziplin zum Unwort und Verzicht zum Fremdwort geriet, Rituale, nützliche Konventionen, hilfreiche Formen des Umgangs abgeschafft worden waren und die Individualisierung übertrieben wurde. Übertreibungen sind in der Pädagogik immer des Teufels. Wir sind, so glaube ich, dabei, eine neue Mitte des pädagogischen Handelns zu finden », Bernhard Bueb, « Die Bilanz eines Pädagogen », Stern-Magazin, 6.12.2007, p. 88.

79. « Glücklicher sind Kinder sicherlich nicht. Ich möchte nicht ein Kind sein in dieser Computerwelt. Keine Puppen. Keine fantasieanregenden Spiele. Von den Eltern haben sie gelernt : ‘Spaß haben ist das Wichtigste im Leben, Urlaub die schönste Zeit des Jahres’. Für mich ist das kein gutes Lernmotto. Ich finde das so öde ! », entretien réalisé le 14 février 2008.

80. « Prüfen Sie, ob Sie gute Nerven haben ! Heute ist das Unterrichten schwieriger geworden. Ich möchte keine Woche lang Lehrer sein! », ibid.