Le président fédéral Horst Köhler, dans son allocution de Noël, où il a appelé les Allemands à faire preuve de plus de solidarité entre les générations, s'est fait le porte-parole d'un débat qui a dominé cette fin d'année 2007. Comment protéger les enfants de la pauvreté et de la violence, violence dans les familles, dans les écoles, dans la rue ? Angela Merkel a pour l'instant refusé d'inscrire les droits de l'enfant dans la Constitution, comme le souhaite Kurt Beck, le chef de file des sociaux-démocrates. Ce débat s'inscrit dans celui plus vaste de la lutte contre la pauvreté et le maintien du pouvoir d'achat qui contribue à alimenter la controverse autour du salaire minimum. Celui des services postaux étant acquis, la question de sa généralisation continue de diviser le gouvernement. En contrepoint aux bas salaires sont aussi évoquées les rémunérations des dirigeants d'entreprise que d'aucuns souhaiteraient limiter et d'autres non.
Comment prévenir les cas de maltraitance d'enfants ?
La fin de l'année 2007 a été marquée par la découverte de plusieurs enfants morts de suites de maltraitance. Au mois de novembre, trois cadavres de bébés ont été découverts à Plauen, une ville située à l'Est, dans le Land de Saxe ; dans la région voisine du Mecklembourg-Poméranie antérieure, des parents ont laissé mourir de faim Lea-Sophie, leur fillette de cinq ans ; en décembre, deux autres bébés ont été trouvés morts dans des conditions suspectes en Thuringe. Si le nombre d'enfants maltraités dans l'ancienne RDA est plus élevé qu'à l'ouest, ce dernier vit ses propres drames : cinq petits garçons ont été trouvés morts dans leur maison à Darry dans le Schleswig-Holstein, apparemment tués par leur mère.
L'accumulation du nombre de cas de maltraitance ou de morts d'enfants pourrait faire naître l'impression que la situation est en train de s'aggraver en Allemagne, peut-être en raison du nombre croissant d'enfants pauvres dans le pays (Actualité sociale, octobre 2007). Il semblerait toutefois que le nombre de meurtres d'enfants stagne depuis de nombreuses années. Il se situerait aux alentours d'une centaine par an, sachant toutefois que certains d'entre eux ne sont découverts que par hasard ou pas du tout. C'est la sensibilité accrue de la population et le traitement préférentiel des cas découverts par les médias qui contribuent à créer cette impression. En revanche, le nombre de cas de maltraitance semblent être en augmentation. L'Agence fédérale des affaires criminelles (Bundes-kriminalamt) a relevé environ 3000 cas signalés pour 2005, sachant que le nombre réel est probablement beaucoup plus élevé, fait confirmé par les 26 000 enfants qui ont été retirés de leurs familles en 2006, d'après une information de l'Office fédéral de statistiques.
Après des décennies de désintérêt pour la politique familiale, le gouvernement allemand se réveille enfin (voir aussi l'article suivant). La chancelière Angela Merkel a estimé que l'Allemagne a besoin « d'une culture du regard » (Kultur des Hinsehens). La position de la ministre des familles, Ursula von der Leyen, semble évoluer dans ce domaine. Persuadée que le gouvernement ne peut pas se substituer aux parents, elle ne souhaite pas introduire une loi fédérale instaurant un système prévoyant la présentation obligatoire des enfants à un contrôle médical, considérant qu'une telle loi serait anticonstitutionnelle. Elle souligne cependant l'utilité de systèmes de prévention récemment initiés dans certaines régions. En Sarre, p. ex., depuis le printemps 2007, les parents sont invités à présenter leur nouveau-né à un médecin ; s'ils ne répondent pas à la convocation, ils reçoivent la visite d'un assistant social. La Bavière fait jouer l'incitation financière : pas d'allocations ou d'inscription à la crèche, si les parents ne font pas examiner leurs enfants. La conviction prévaut en Allemagne qu'on ne peut assurer une surveillance totale des enfants, mais les médecins, les sages-femmes et les services sociaux devraient travailler davantage ensemble pour détecter les cas à problème en amont, sans oublier l'attitude des voisins qui, s'ils avaient été plus attentifs, auraient pu éviter certains drames.
Les pères intéressés par le salaire parental
Depuis le 1er janvier 2007, les Allemands ont la possibilité d'interrompre leur carrière pendant douze, voire quatorze mois pour s'occuper de leur enfant (Actualité sociale janvier 2007). Le père ou la mère bénéficie d'un salaire parental atteignant 67% de son salaire net, 1800 € au maximum et 300 € au minimum. Si un seul des parents prend le congé parental, le salaire de substitution est versé pendant 12 mois, si les deux le font successivement, la durée totale maximale est portée à quatorze mois. Le 14 décembre 2007, la ministre de la famille, Ursula von der Leyen, a tiré le premier bilan de la mise en œuvre de cette loi. S'il est vrai que, dans la plupart des cas, ce sont les mères qui prennent un congé parental, le bilan a révélé qu'un nombre plus important de pères que prévu s'est prévalu de cette possibilité de s'occuper eux-mêmes de leur nouveau-né. Au cours des neuf premiers mois de l'année 2007, 9,6% du total des demandes de salaire parental émanent des pères, c'est-à-dire 37 140, dont presque la moitié, 41,1%, ont choisi de s'arrêter entre trois et douze mois, donc nettement plus que les deux mois que la plupart des observateurs avaient considéré comme la durée maximale que s'octroieraient les jeunes pères. Devant le succès imprévu de cette mesure, le ministère doit demander une rallonge budgétaire de 130 millions d'euros pour financer les indemnités.
Contrairement aux craintes initiales, les entreprises se sont montrées ouvertes à ce nouveau dispositif, non seulement les grandes entreprises, mais également certaines PME/PMI. Selon un sondage commandité à l'automne 2006, peu avant l'introduction du nouveau congé parental, un tiers des entreprises y seraient favorables, ce qui lève un obstacle majeur à la généralisation de cette mesure. Devant le succès que rencontre le salaire parental, on peut espérer qu'il redonne envie aux Allemands d'avoir des enfants. Sans être aussi catastrophique qu'en Grèce, en Italie ou en Espagne, le taux de fertilité des Allemandes est désespérément étale depuis une dizaine d'années, variant de 1,36 enfant par femme en 1998 à 1,30 en 2006. Or, pour la première fois, le nombre de naissances semble avoir légèrement augmenté en 2007. Pour les neuf premiers mois de l'année, l'Office fédéral de statistiques a recensé 3 304 nouveau-nés supplémentaires par rapport à la même période de 2006.
Reste à voir si cette tendance se confirme. L'absence pendant des décennies d'une politique familiale active a créé un climat très hostile aux mères de famille souhaitant travailler et aux enfants en général, perçus comme des éléments perturbateurs par une société vieillissante. La politique menée par le gouvernement actuel qui souhaite favoriser la conciliation travail/famille pour les mères, notamment en multipliant le nombre de places en crèche et en maternelle, et en encourageant la paternité active, est le signe d'un changement de cap inédit, trop longtemps différé.
Violence et criminalité des jeunes
Une série d'agressions commises par des jeunes, souvent issus de l'immigration, a profondément choqué les Allemands. Avant Noël, dans une station de métro de Munich, deux jeunes, un Grec et un Turc, blessent grièvement un directeur d'école à la retraite qui leur avait demandé de ne pas fumer dans le métro. Les deux agresseurs, multirécidivistes au dossier particulièrement lourd, ont été arrêtés et inculpés de tentative d'homicide. Ce passage à tabac, qui a été suivi d'autres faits de violence en Bavière, a suscité un débat vigoureux au sein de la grande coalition sur les mesures à prendre face à la montée de la violence chez les jeunes, notamment ceux d'origine étrangère. Les médias, en particulier le quotidien populaire Bild, se sont emparés de l'affaire, publiant des statistiques policières qui montrent que les habitants de nationalité étrangère, qui constituent environ 9% de la population, sont responsables de 19% des délits. Pour des crimes lourds, tels que des meurtres, leur part avoisinerait les 30%. La moitié des délits des jeunes de moins de 21 ans seraient commis par des immigrés avec ou sans passeport allemand.
La perspective des prochaines élections régionales a exacerbé le débat. Les chrétiens-démocrates ont été les premiers à s'emparer du dossier. Roland Koch, ministre-président du Land de Hesse, qui affronte les élections du 27 janvier dans une situation de relative faiblesse, en a fait son cheval de bataille. La focalisation sur ce thème lui ayant déjà réussi en 1999, où son opposition à la double nationalité a contribué à son élection, il s'est saisi du sujet avec vigueur. Son plan contre la criminalité des jeunes prévoit entre autre un emprisonnement d'intimidation de plusieurs semaines de mineurs condamnés à la prison avec sursis, l'application obligatoire, et non pas facultative, de la législation pénale pour adultes à ceux âgés de 18 à 21 ans, le relèvement de la peine maximale pour mineurs de 10 à 15 ans ainsi que la reconduite dans leur pays d'origine d'immigrés ayant été condamnés à un an de prison ferme, au lieu de trois ans actuellement. Même la création de camps de rééducation fermés, à l'instar des « boot-camps » américains, est envisagée. Angela Merkel, restée un peu en retrait au départ soutient désormais la position de Roland Koch, afin de renforcer ses chances dans les élections régionales de Hesse qui apparaissent de plus en plus comme un test national, au risque de paraître droitiser son discours.
Les sociaux-démocrates, parte-naires d'Angela Merkel dans la grande coalition, sont quelque peu ennuyés par ce débat. Kurt Beck, le président du parti social-démocrate, garde le silence. Il ne souhaite pas alimenter un débat sur la criminalité des étrangers qui sert les partis de la droite. La ministre de la justice, Brigitte Zypries, dénonce pour sa part les propositions de la droite, notamment la création de camps de redressement, incompatibles, selon elle, avec la dignité humaine, même si elle admet qu'un séjour dans une institution où les jeunes s'habituent à un emploi du temps structuré et à des règles de comportement claires pourrait être bénéfique. La chancelière a de son côté convenu qu'une réflexion sur un durcissesment de l'arsenal législatif était nécessaire, mais que cela prendrait du temps. Sans attendre que le gouvernement fédéral bouge sur le dossier, certains Länder prennent les devants. Le gouvernement de Saxe a constaté que la nouvelle loi sur les établissements pénitentiaires pour mineurs autorise la fondation de maisons de correction ouvertes aux jeunes voulant éviter la prison. Le Bade-Wurtemberg prépare lui aussi des maisons correctionnelles. La violence des jeunes est devenu un sujet sensible pour les responsables politiques. Ils savent que le public est de moins en moins disposé à supporter les violences physiques assorties de violences verbales, telles que Scheißdeutscher, lancée au visage du retraité par les deux immigrés qui l'ont presque battu à mort à Munich avant Noël.
La revendication du salaire minimum généralisé rebondit
Si, à la faveur de plusieurs faits divers sanglants, la violence des jeunes accapare les médias à l'approche des élections régionales en Hesse et Basse-Saxe, au début de l'année 2008, le débat sur le salaire minimum rebondit, lui aussi. Alors que les conservateurs de la CDU/CSU se sont emparés du thème de la sécurité, demandant des mesures de protection accrues pour la population contre les agressions de bandes de jeunes de moins en moins contrôlables, les sociaux-démocrates du SPD poursuivent l'offensive dans le domaine du pouvoir d'achat. Ces élections régionales sont en effet le premier test électoral pour les deux grands partis de la coalition gouvernementale. Les deux chefs de file ne s'y trompent pas, Angela Merkel soutenant le discours sécuritaire de Roland Koch, premier ministre CDU du Land de Hesse, et Frank-Walter Steinmeier, vice-chancelier SPD appuyant la demande de son parti d'instaurer un salaire minimum pour tous.
Actuellement, un SMIC à l'allemande n'existe que dans le secteur du bâtiment. En juin 2006, à l'initiative des sociaux-démocrates, le gouvernement avait convenu d'étendre la législation sur le salaire minimum en vigueur dans le bâtiment à d'autres branches. Les fédérations de branches ont jusqu'au 31 mars 2008 pour négocier un salaire minimum, qui serait par la suite validé par le gouvernement fédéral. Un premier résultat a été obtenu fin novembre dans la branche postale après de longs mois d'âpres négociations. Dès le mois de janvier 2008, les facteurs allemands toucheront au moins entre 8 et 9,80 euros de l'heure de travail. La Deutsche Post est satisfaite du résultat. Elle y voit un moyen de se débarrasser de ses concurrents qui ont pris 10% du marché depuis son ouverture pour les lettres de plus de 50 grammes. Ses concurrents, notamment la société Pin, deuxième du secteur, qui paient à leurs salariés un salaire horaire ne dépassant pas 7,50 euros, estiment toutefois que l'accord constitue une entrave à la concurrence, destiné à conforter le monopole de la Deutsche Post. Dans la foulée de l'accord gouvernemental, Pin a annoncé le licenciement de 900 personnes en Allemagne, un dixième du total de son personnel outre-Rhin.
Les sociaux-démocrates sont satisfaits de ce premier résultat. Ils ont décidé de le consolider par une pétition en Hesse en faveur de l'introduction d'un salaire minimum généralisé. Déjà dans la perspective des élections législatives de 2009, Kurt Beck, le président du SPD, a souligné que le sujet resterait en tête de l'agenda politique en 2008. Les chrétiens-démocrates, eux, sont très partagés. Certains économistes, tel que Hans Werner Sinn, président de l'Institut munichois Ifo, regrette que la CDU ait accepté de considérer le salaire minimum comme une revendication négociable, la modération salariale outre-Rhin ayant puissamment contribué à combattre le chômage. D'autres experts, dont le professeur Bert Rürup, président d'une commission chargée de conseiller le gouvernement en matière économique, souhaite que la CDU instaure un SMIC généralisé, mais il le met à 4,50 euros de l'heure, bien en deça des 7,50 euros préconisés par les sociaux-démocrates et les syndicats. D'un autre côté, les responsables du parti de droite savent pertinemment que le public est en faveur de cette mesure défendue par le SPD, comme en témoigne la popularité du combat des conducteurs de locomotives qui tentent depuis plusieurs mois d'obtenir de meilleurs salaires. Dans un contexte social, où le nombre de salariés incapables de vivre du fruit de leur travail monte inexorablement, où le hiatus entre riches et pauvres s'accroît de façon visible, le gouvernement se doit de trouver une solution pour renforcer le cohésion sociale. Même le patronat s'y met : les fédérations patronales des entreprises de surveillance et de sécurité, de traitement des déchets et du travail temporaire - tous des domaines où les salaires horaires sont particulièrement bas - ont réclamé des minimums salariaux.
Le salaire des patrons fait polémique
Le débat actuel sur le salaire minimum généralisé qu'une majorité d'Allemands appelle de ses vœux, se double d'une polémique sur les rémunérations des patrons, jugées excessives par la plupart des responsables politiques, tant de gauche que de droite. La discussion a été relancée par le président de la République, Horst Köhler, qui a dénoncé une aliénation entre les entreprises et la société. Les chiffres qui circulent dans les médias sont en effet de nature à alimenter la polémique : Klaus Zumwinkel, président de la Deutsche Post, a exercé ses options sur actions pour un montant de presque 5 millions d'euros, au moment où le titre profitait de l'annonce par le gouvernement d'un salaire minimum pour les services postaux, renforçant le monopole de fait de l'ancienne entreprise d'Etat. Chez Porsche, où les actionnaires des familles Piëch et Porsche n'ont rendu publique que la rémunération collective du directoire, le président Wendelin Wiedeking est crédité de 60 millions d'euros pour 2006. A ces rémunérations jugées abusives par la majorité des Allemands s'ajoute, pour un nombre importants de patrons, des retraites plus que confortables, avec attribution d'un secrétariat et d'une voiture de fonction avec chauffeur à vie.
Ce qui est considéré comme particulièrement choquant par le public, ce sont d'une part l'absence de responsabilité financière des patrons et, d'autre part, le maintien des salaires et primes exorbitants, même en cas de management défaillant. L'exemple de Jürgen Schrempp est particulièrement frappant. Il a quitté l'entreprise germano-américaine Daimler Chrysler il y a deux ans en empochant une cinquantaine de millions d'euros, tout en ayant réduit la valeur boursière de l'entreprise de dizaines de milliards. Des exemples de ce type, certes moins spectaculaires, abondent.
Les média soulignent que le salaire des patrons ne connaît qu'un mouvement, celui de la hausse. Alors que la rémunération moyenne des salariés stagne depuis des années - + 2,8% en cinq ans - celle des PDG des trente sociétés cotées au Dax a augmenté de 62%. Angela Merkel s'est saisie la première de ce sujet, pointant du doigt les dirigeants qui encaissent des indemnités fantaisistes, même en cas d'échec, et qui minent de ce fait la confiance dans l'équilibre social du pays. Le SPD, pour une fois pris de vitesse sur ce sujet éminemment symbolique, lui a emboîté le pas. Les sociaux-démocrates ont créé un groupe de travail chargé de réfléchir aux mesures susceptibles de freiner cette dérive. Si certains d'entre eux vont jusqu'à envisager une nouvelle loi pour créer des plafonds salariaux pour les patrons - proposition favorablement accueillie par 65% des Allemands -, la CDU préfère la voie de l'engagement volontaire des responsables économiques. Le frein que représente la publication des rémunérations individuelles existe déjà, mais les actionnaires peuvent décider de passer outre et de ne publier que l'ensemble des salaires des membres du directoire, comme dans le cas de Porsche. Ce débat, comme celui autour du salaire minimum, est exacerbé par l'imminence des élections régionales. Une fois ces échéances passées, sera-t-il enterré, où rebondira-t-il dans un contexte de dégradation de la cohésion sociale ?
(Janvier 2008)
<Brigitte.Lestrade@u-cergy.fr>