Victoire pour la coalition chrétienne-libérale
mais des débuts difficiles pour le nouveau gouvernement
Les dernières élections fédérales remontent à maintenant plus de deux mois, leurs résultats ont été acquis et acceptés immédiatement après leur diffusion sur les chaînes de télévision. La défaite du SPD n'a surpris que par son ampleur. Bien que celle-ci fût attendue, la question se posait, la veille des élections, de savoir si chrétiens-démocrates et libéraux obtiendraient ensemble suffisamment de voix et, ce faisant, de sièges pour constituer un nouveau gouvernement ou bien si, faute d’un tel résultat, chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates se verraient, comme en 2005, contraints de reconduire une nouvelle grande coalition. Au vu des sondages, les deux options semblaient plausibles, encore qu’avec le temps, le FDP ait bien paru s’établir durablement au-delà de 13%, ce qui pouvait passer pour paradoxal dans la mesure où la crise mondiale provoquée par les excès du capitalisme financier aurait pu/dû provoquer une désaffection des électeurs par rapport à ce parti qui se comprend comme le défenseur le plus exigeant de l’économie de marché. Il n’en fut rien et les contributions de ce dossier consacré aux élections fédérales du 27 septembre tentent d’apporter les explications à ce paradoxe. Les électeurs allemands ont, en tous cas, rejeté clairement la grande coalition et donné un mandat non moins clair à la coalition chrétienne-libérale conduite par Angela Merkel qui reste chancelière, malgré un avertissement sévère des électeurs à l’encontre de son parti. Ensemble, les deux partis de rassemblement que sont CDU/CSU et SPD n’ont réuni que 56,8% des voix contre 82% en 1957 ou 88,8% en 1969. L’érosion des grands partis est le constat qui s’impose, elle profite diversement aux trois autres formations représentées au Bundestag,, le FDP, La Gauche et les Verts qui se situent entre 10 et 15%.
Ce qui importe, c’est que malgré un système désormais décidément pluripartite, l’Allemagne a pu se doter d’un gouvernement, qu’elle reste donc gouvernable grâce à une coalition dont la majorité ne peut être contestée. L’affaire ne fait plus grand bruit aujourd’hui mais au sein du SPD des voix s’étaient élevées pendant la campagne électorale pour réclamer que la question des mandats supplémentaires (Überhangmandate) soit réglée avant l’échéance du 27 septembre ou d’envisager une plainte en illégitimité pour le cas où chrétiens-démocrates et libéraux n’auraient pas obtenu la majorité absolue des sièges sans mandats supplémentaires. Le mandat donné par les électeurs à la coalition chrétienne-libérale n’est pas entaché du moindre soupçon d’illégitimité comme cela aurait pu être le cas si CDU/CSU et FDP n’avaient obtenu la majorité des sièges au Bundestag que grâce au jeu de mandats supplémentaires : même sans ces mandats, ceux-ci comptent, en effet, 215 + 93 = 308 sièges dans un parlement qui n’en aurait eu que 598 sans de tels mandats. Le Bundestag en compte finalement 622 en raison de 24 mandats supplémentaires qui proviennent d’un surplus de sièges obtenus directement par les seuls partis chrétiens-démocrates dans les conscriptions électorales.[1] En l’état présent, la coalition chrétienne-libérale compte 332 sièges sur 622, ce qui lui donne une avance de 20 sièges sur la majorité absolue.
Les élections fédérales ont également eu pour effet de débloquer les négociations qui trainaient dans les Länder où il venait d’y avoir des scrutins régionaux, comme en Sarre, en Thuringe et en Saxe, le 30 août 2009, ou comme dans le Brandebourg où il était prévu de longue date qu’il ait lieu le même jour que les élections fédérales, ou encore au Schleswig-Holstein, suite à la rupture de la grande coalition CDU/SPD provoquée délibérément par le ministre-président chrétien-démocrate, P.H. Carstensen, qui comptait sur un effet d’entraînement des tendances favorables à la CDU et au FDP pour échanger son partenaire social-démocrate contre le FDP. Les résultats lui ont permis de procéder à l’échange mais au prix de pertes cuisantes pour son parti qui réalise son plus mauvais score depuis 1947 et d’un renforcement à son détriment des libéraux (+8,3 points par rapport à 2005), comme au plan fédéral. La comparaison entre les premières voix exprimées pour l’élection directe des députés dans les circonscriptions électorales et les deuxièmes voix fait apparaître une perte de 80.000 voix pour la CDU et de 65.000 voix pour le SPD tandis que le FDP en gagnait 70.000, les Verts, près de 30.000 et la Gauche une dizaine de milliers : il n’est de meilleure preuve que le FDP a profité d’un report massif d’électeurs chrétiens-démocrates et les formations de gauche d’un report de voix en provenance du SPD
Dans le Brandebourg, les résultats ont permis au ministre-président social-démocrate, Matthias Platzeck, d’échanger au gouvernement de Potsdam la CDU au profit de Die Linke. Sa décision était double, intégrer Die Linke et en même temps suivre une logique d’opposition à la coalition gouvernementale qui se mettait en place à Berlin. Il a surtout récolté une crise provoquée par l’appartenance à la Stasi de députés de Die Linke. C’est un sort qui a été épargné au SPD de Thuringe qui, en position d’arbitrage malgré un score faible de 18,5% des voix, a préféré entrer dans une grande coalition dirigée par une CDU qui avait dirigé seule le Land lors de la magistrature précédente et se trouvait aplatie à 31,2% suite à la perte d’autorité de son ministre-président sortant D. Althaus, à l’origine d’un accident de ski ayant entrainé, par sa faute, la mort d’une mère de famille.
Après avoir été, quatre ans durant, en adéquation avec la grande coalition à Berlin, la Saxe s’est mise à l’heure chrétienne-libérale après les élections régionales d’août 2009 : le FDP apporte désormais à la CDU l’appoint que lui avait depuis 2004 fourni le SPD. En Sarre, il aura fallu toute la maladresse d’Oskar Lafontaine (leader avec G. Gysi de Die Linke) pour empêcher que se constitue, sur la base de la défaite de la CDU du ministre-président sortant, Peter Müller (34,5% contre 47,5% en 2004), un gouvernement réunissant au sein d’une même coalition SPD, Die Linke et les Verts. Les Verts, partagés sur les choix à faire, ont finalement donné la préférence à la CDU et permis ainsi à P. Müller d’être reconduit dans ses fonctions à la tête de la première coalition association au pouvoir CDU, FDP et Verts. Ces évolutions confirment qu’au niveau des Länder toutes les coalitions sont potentiellement plausibles, mais qu’à l’Ouest les tentatives d’inclure Die Linke dans des coalitions gouvernementales ont pour l’instant, toutes, échoué et que même, à l’Est comme en Thuringe, une telle coalition ne va pas de soi.
Cette recomposition des alliances régionales n’affecte pas la position au sein du Conseil fédéral (Bundesrat) des partis de la coalition gouvernementale à Berlin, comme il ressort du tableau ci-dessous. CDU/CSU et FDP y détiennent ensemble la majorité des sièges et peuvent compter sur l’apport occasionnel de gouvernements de Hambourg et de Sarre si les Verts avec lesquels ils y partagent le pouvoir sont prêts à les suivre. Ceux-ci pourraient être plutôt tentés de forcer ces gouvernements de rester neutres afin de n’être pas en opposition trop flagrante avec les gouvernements où les Verts coopérent avec le SPD, comme c’est le cas à Berlin et à Hambourg.
Les difficultés du nouveau gouvernement
Mais c’est sans doute d’ailleurs que les difficultés menacent le nouveau gouvernement de la chancelière, A. Merkel qui, en passant apparemment sans état d’âme d’un partenaire social-démocrate à un partenaire libéral fait preuve d’un opportunisme certain. Pour satisfaire le FDP que sa victoire rend exigeant, elle s’est engagée, contre les avis des Sages et des experts, dans une politique qui cherche à concilier l’impossible : l’abaissement des impôts et la réduction du déficit budgétaire. Sans doute, le FDP fait-il de la baisse des impôts la clé du retour à la croissance qui engendrera de nouvelles rentrées fiscales. Mais certains ministres-présidents chrétiens-démocrates peinent d’autant plus à suivre la chancelière dans cette analyse que la baisse des impôts se fait au détriment des Länder. Les ministres-présidents chrétiens-démocrates de Sarre, du Schleswig-Holstein et de Thuringe menacent début décembre d’opposer leur veto à la réforme. L’opinion ne comprend pas non plus cette contradiction et sanctionne les partis de la coalition gouvernementale en leur retirant quelques points de reconnaissance et d’autorité. Par ailleurs CDU, CSU et FDP s’opposent sur la réforme de la santé et de la politique familiale : la chancelière a répondu favorablement là la demande de la CSU d’accorder une allocation d’éducation à la maison aux ménages qui ne veulent pas recourir aux crèches ou aux jardins d’enfants. Mais c’est surtout la démission du ministre du Travail, F.-J Jung, quelques semaines seulement après la formation du nouveau gouvernement et le remaniement qu’il a entrainé qui pèse sur les débuts de la coalition CDU/CSU-FDP de la chancelière. C’est pour la gestion désastreuse de la politique de communication qu’il eue en tant que ministre de la Défense du précédent gouvernement que F-.J. Jung a dû démissionner. Il a, en effet, défendu contre vents et marées la demande de la Bundeswehr en Afghanistan de faire bombarder, sans avertissement préalable et malgré les objections des pilotes, par des avions F 15 américains deux camions citerne préalablement volés à la Bundeswehr alors que n’était pas garantie l’absence de civils aux alentours. D’autres tensions opposent encore CDU, CSU et FDP quand il y va de la nomination d’Erika Steinbach, présidente de la Fédération des Réfugiés, au sein du conseil de la Fondation contre les expulsions. Faute d’avoir réglé suffisamment tôt cette question, la chancelière risque de désavouer son ministre libéral des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, qui a garanti à la Pologne que celle-ci n’entrerait dans ce conseil et de provoquer une crise avec la Pologne qui ne pardonne pas E. Steinbach d’avoir refusé, en 1990, de voter le Traité 2+4 réglant les aspects extérieurs de l’unification parce que celui-ci entérinait la ligne Oder-Neisse comme frontière germano-polonaise.
La victoire électorale n’a pas donné une nouvelle impulsion à l’Allemagne alors que celle-ci aurait besoin de repères politiques clairs pour gérer la crise économique et sociale qu’elle connaît comme les autres pays d’Europe, à défaut de pouvoir réellement la surmonter. Cette contribution introductive laisse le soin aux différents articles de ce dossier d’éclairer plus avant les résultats des élections du 27 septembre en Allemagne. J.-P. Gougeon trace le nécessaire tableau d’ensemble et fournit les grandes clés de compréhension que viennent ensuite compléter et détailler les études de H. Miard-Delacroix (le SPD), J.-L. Georget (la CDU), M. Weinachter (le FDP) et C. Caro (les Verts) sur les principaux partis. Pour Die Linke, nous renvoyons volontiers à l’étude que J.-P. Gougeon a consacrée à ce parti dans notre numéro 186/2008. Mais nous avons tenu aussi à remettre ces élections en situation avec les analyses de B. Lestrade sur la crise sociale, de G. Sebaux sur ce qui a fait de la politique d’intégration un enjeu électoral, ainsi que de H. Brodersen sur la situation économique à travers l’étude de la politique économique de la Grande coalition, l’étude D. Herbet nous rappelant judicieusement en fin de parcours comment ces élections allemandes, à travers le journal Le Monde, ont été perçues en France.
[1] Les mandats supplémentaires proviennent de ce qu’un ou plusieurs partis – en l’occurrence, cette fois, les seuls partis CDU et CSU qui en comptent au total 24 - obtiennent dans les circonscriptions des Länder plus de mandats directs que le décompte général, au titre de la seconde loi, ne leur en attribue. Ces sièges directement acquis dans les circonscriptions au scrutin majoritaire ne peuvent être contestés, mais il y a dès lors une différence avec le nombre de sièges qui auraient dû revenir au parti au titre de la seconde voix, qui décide, à la proportionnelle, de la répartition globale des sièges (ou mandats) entre les partis ayant obtenu au moins 5% des suffrages. Dans certains Länder, l’obtention de mandats supplémentaires, lors des élections régionales, conduit à l’attribution de mandats complémentaires aux autres partis afin de rétablir l’équilibre perturbé. Ce n’est pas le cas au niveau des élections fédérales. Alors que le mode de scrutin est proportionnel et que le suffrage est non seulement universel, direct, libre et secret mais encore égal, cela signifie que chaque voix exprimée n’a pas le même poids, qu’un même nombre de voix ne conduit pas à l’attribution d’un même nombre de sièges. Dans un jugement du 3 juillet 2008, le Tribunal fédéral constitutionnel avait, de ce fait, demandé au législateur de revoir, d’ici 2011, cette procédure d’attribution de mandats supplémentaires. Au sein du SPD, des voix s’étaient élevées pour dire qu’une victoire électorale qui serait due à des mandats supplémentaires poserait la question de sa légitimité.