Repas de fête, vacances à la mer, défilés, manifestations sportives, champs de bataille, ghettos, camps de concentration, hôpitaux de campagne, partisans pendus, exécutions sommaires : des centaines de photos, ravivant la vie quotidienne en Allemagne sous Hitler, ont été rassemblées dans ce recueil par le rédacteur en chef du journal satirique Charlie Hebdo, Riss. Ce dernier a acheté tous les clichés via internet à des marchands qui les ont récupérés dans les liquidations d'héritages, comme si les Allemands se défaisaient de leurs souvenirs de l’époque en bazardant leur mémoire sur le site d’enchère eBay.
Les photos, prises par des civils ou soldats allemands sur le front, constituent un témoignage exceptionnel de la vie sous le Troisième Reich. Elles représentent des tranches de vie des années 1930 et 1940. Personne ne peut dire de manière précise où ni quand elles ont été prises, puisque leurs auteurs sont anonymes, des soldats pour la plupart du temps qui voulaient raconter ce qu’ils avaient vu sur le front et continuaient, de retour à la maison, à photographier amis ou famille. Le lecteur est confronté à des prises de vue terribles – soldats morts laissés au milieu d’un chemin, leurs corps se mélangeant un peu plus à la boue à chaque passage de véhicule, ou un prisonnier russe, mort-vivant, qui doit être aidé pour s’alimenter – et à des photos pouvant prêter à rire – un couple de messieurs en maillot de bain, dont un arbore sur son slip le sigle de la SS, ou un soldat qui dans l’immensité du front russe dépose sa petite commission. Cette chronique photographique du nazisme ordinaire aurait cependant mérité d’être complétée par une solide réflexion scientifique. En effet, les clichés ne sont accompagnés que par des légendes très brèves, approximatives, voire grotesques et absurdes (« Têtes blondes défilant sous une tête de mort » ou « Un soldat mort est enterré à même la terre, sans cercueil. Un drap le recouvre, mais il est un peu trop court car un de ses pieds dépasse) suscitant dès lors un profond malaise. Certes, l’éditeur rappelle dans sa courte préface que la « grande leçon et la vertu de ce recueil » c’est que les « barbares étaient des humains comme vous et moi. Ne pas l’oublier est le premier enjeu du devoir de mémoire ». En ce sens, ce livre donne une vision troublante du nazisme au quotidien et vient enrichir la thématique de la « banalité du Mal ».