Deux décennies après la réunion des deux Allemagne et dix ans après la première participation de la Bundeswehr à une opération de rétablissement de la paix, nous avons souhaité tirer un bilan des étapes diplomatiques et militaires franchies par les gouvernements Kohl, Schröder et Merkel et qui ont conduit à ce que l'Allemagne unie puisse, du moins en apparence, pratiquer une diplomatie « décomplexée », caractéristique d'une « nation adulte ».
Sortie de la singularité
Retour à la normalité : politique et interventions
militaires extérieures de l'Allemagne depuis 1990
Présentation par J. Thorel
J. Vaillant. – L’Allemagne unifiée : une normalité singulière ?
F. Gauzy-Kieger. – Vers une militarisation accrue de la
politique de sécurité allemande : les interventions extérieures
de la Bundeswehr de 1990 à 2000
F. A. Stengel. – Légitimer l’armée en opération :
les interventions extérieures de la « nouvelle Bundeswehr »
dans la rhétorique du gouvernement rouge-vert
A. Marchetti. – L’Allemagne tiraillée. Un « rôle particulier »
malgré la « normalisation » dans le cadre de la politique
de sécurité et de défense européenne
J. Thorel. – Le rôle de l’ONU dans le processus
de normalisation de la politique étrangère et de sécurité
de l’Allemagne unie
M. Revue. – Vernetzte Sicherheit ou sécurité interconnectée.
La fin de la séparation entre sécurité intérieure et extérieure ?
I. Maras & S. Reinke de Buitrago. – Les interventions
de la Bundeswehr au miroir de la classe politique et des
opinions publiques en Allemagne et en France
U. Pfeil. – La Bundeswehr et sa mémoire entre normalité
et singularité
Débat. « Allemagne puissance ». Mythe et réalité
J.-P. Gougeon, S. Martens, H. Stark et H. Miard-Delacroix
répondent aux questions de J. Vaillant
K.-H. Standke. – Quo vadis Triangle de Weimar ?
De la nécessité d’élaborer un cadre conceptuel pour
revitaliser le Triangle de Weimar (« Agenda 2021 »)
P.-F. Weber – 1er Congrès polonais des chercheurs en études
germaniques. Wroc?aw (Pologne), 9-11 mai 2010
H. Ménudier. – Les élections du 9 mai 2010 en Rhénanie
du Nord-Westphalie
E. Lanoë. – Goethe et Marianne sous les tropiques :
les politiques culturelles allemande et française au Brésil
en 2008-2009
L’actualité sociale par B. Lestrade
Comptes rendus
Nicolas Beaupré, Das Trauma der großen Krieges 1918-1932/33
(L. Charrier).
J. Pierat. – La revue Das Kunstwerk et l’occupant français
en Allemagne, 1945-1955
Chronique littéraire et culturelle
de C. Hähnel-Mesnard
Notes de lecture de J-C. François
En conséquence de la fin de la Guerre froide et l'unification allemande en 1990, la constellation géopolitique européenne et les paramètres de l’ordre mondial ont été profondément bouleversés. Durant les deux décennies qui viennent de s’écouler, l’implication croissante de la République fédérale d’Allemagne, appelée par ses partenaires à jouer sur la scène internationale un rôle proportionnel à son nouveau statut, en a fait un acteur aujourd’hui incontournable, dans le cadre de l’ONU, de l’OTAN et de l’UE. L’intervention de la Bundeswehr sur les théâtres d’opérations extérieures, qui aurait provoqué certaines irritations à l’étranger il y a vingt ans, n’est plus l’objet de débats qu’à l’intérieur du pays. Au point que la participation croissante à des opérations de maintien puis de rétablissement de la paix laisserait penser que la question de la singularité de la politique étrangère allemande est devenue obsolète ou encore que la politique étrangère et de sécurité de l’Allemagne unie ne semble plus empreinte des handicaps politiques générés par son passé expansionniste et belliqueux. Les débats que la tragédie en Afghanistan a suscités ont montré que la réalité était différente, en même temps qu’ils justifient la pertinence de la problématique que nous avons traitée au cours d’un colloque intitulé Sortie de la singularité - Retour à la normalité, qui a eu lieu à l’Institut Goethe de Lyon les 12 et 13 novembre 2009.
Deux décennies après la réunion des deux Allemagne et dix ans après la première participation de la Bundeswehr à une opération de rétablissement de la paix, nous avons souhaité tirer un bilan des étapes diplomatiques et militaires franchies par les gouvernements Kohl, Schröder et Merkel et qui ont conduit à ce que l’Allemagne unie puisse, du moins en apparence, pratiquer une diplomatie « décomplexée », caractéristique d’une « nation adulte » - pour reprendre les expressions employées par Gerhard Schröder il y a une dizaine d’années. Au vu du titre du colloque, le lecteur allemand songera sans doute au premier coup d’œil à une énième provocation française. L’objectif de cette rencontre n’était ni de stigmatiser une fois de plus la singularité diplomatique et militaire de l’Allemagne unie ni au contraire de l’accuser de vouloir sublimer les complexes passés par l’affirmation arrogante de la puissance retrouvée. Nous avons surtout voulu apporter aux lecteurs français des éléments de réponse sur la complexité des questions diplomatiques et militaires de l’autre côté du Rhin. Nous nous sommes interrogés sur les moyens qui ont permis à l’Allemagne de gommer progressivement certains déficits et d’accroître la capacité de la Bundeswehr à répondre aux défis de sécurité collective à l’échelle mondiale. Néanmoins, la tragédie de l’Afghanistan, auxquelles les contributions présentées ci-après font largement référence, atteste toute la complexité de la problématique : si, de prime abord, les responsables politiques semblent vouloir répondre pleinement à la responsabilité politique accrue du pays sur la scène internationale, on constate, à y regarder de plus près, la persistance de la culture de retenue et une incompréhension entre pouvoirs publics et opinion : les sondages réalisés récemment montrent que 70% des Allemands se approuveraient sans réserve un retrait immédiat d’Afghanistan.
Les communications présentées au cours du colloque ont aussi permis de tirer un bilan des deux décennies de pratique allemande de la diplomatie et des interventions militaires internationales, et de la confronter au miroir de l’opinion publique. La première partie du colloque a permis de tirer un bilan du processus de normalisation de la politique étrangère. Par une analyse rétrospective des principes juridiques énoncés par le « Traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne », la communication inaugurale de Jérôme Vaillant a mis en lumière les difficultés intrinsèquement liées au nouveau statut international de l’Allemagne unie sur la scène internationale jusqu’au jugement du Tribunal fédéral constitutionnel du 12 juillet 1994 qui condamna l’interprétation restrictive de la Loi fondamentale et mit un terme, du moins juridiquement, aux querelles internes portant sur la compatibilité constitutionnelle des interventions de la Bundeswehr « out of area ». Après être revenue sur les contraintes politiques qui ont conduit à la « militarisation accrue » de la politique de sécurité allemande au cours des années 1990, Florence Gauzy passe en revue les différentes étapes de l’adaptation de l’outil militaire avant d’analyser la pratique allemande de l’intervention extérieure. Cette approche complète la problématique traitée par Frank Stengel qui analyse les débats et la rhétorique employés par le gouvernement Schröder/Fischer (1998-2005) pour légitimer auprès de l’opinion publique la prise de responsabilité croissante sur la scène internationale sur le plan militaire. Cette contribution montre bien à quel point le gouvernement rouge-vert a dû passer en force en construisant de toute pièce un discours qui permette d’introduire de nouvelles habitudes en matière de politique étrangère et de sécurité. L’analyse du rôle de l’Allemagne sur la scène européenne durant la décennie qui vient de s’écouler complète le bilan des « années Kohl ». Outre la contribution indéniable de la diplomatie comme de l’armée allemandes à la mise en place progressive d’une politique européenne de sécurité et de défense, Andreas Marchetti examine le « rôle particulier » d’une « Allemagne tiraillée » entre la crainte d’être marginalisée sur la scène européenne par le tandem franco-britannique en matière de sécurité et de défense et la persistance du malaise ressenti par la classe politique allemande dès lors qu’il s’agit d’interventions extérieures. Pour contourner ces tiraillements et résoudre la contradiction entre les attentes extérieures et les nécessités intérieures, la République de Bonn/Berlin s’est engagée sans réserve dans les opérations humanitaires, puis de maintien de la paix des Nations unies. Alors qu’elle a longtemps été perçue en France comme une volonté de pratiquer à nouveau une politique de puissance, la revendication du gouvernement fédéral d’un siège permanent au conseil de sécurité - formulée en 2004 à la suite d’un long débat interne et d’un investissement politique, matériel, financier et en personnel conséquent - visait avant tout à légitimer le retour de l’Allemagne unie sur la scène mondiale et à compenser les déficits politiques hérités d’une histoire sans doute beaucoup plus présente qu’on a tendance à le penser. C’est justement cet aspect que mettent en relief Isabelle Maras et Sybille Reinke de Buitrago d’une part, et Ulrich Pfeil, d’autre part, en confrontant respectivement les pratiques politiques de l’Allemagne unie en matière de sécurité et de défense et la politique mémorielle au regard de l’opinion publique.
Ce colloque, organisé par l’Université de Jean Monnet de Saint-Etienne, n’aurait pu avoir lieu sans le soutien financier de la Fondation Friedrich Ebert, à laquelle nous souhaitons exprimer ici nos plus vifs remerciements. A titre personnel, nous souhaitons témoigner notre sincère gratitude à Ulrich Pfeil pour son soutien inconditionnel au projet dès sa genèse, ainsi que Jérôme Vaillant pour l’intérêt qu’il a témoigné, non seulement pour la thématique lors de sa participation à notre rencontre, mais aussi à la publication des actes.
Jacques-Pierre Gougeon a lancé un débat sur « l'Allemagne puissance » qui a provoqué des réactions au sein-même de la rédaction d’Allemagne d’aujourd’hui, en particulier de la part de Stephan Martens et de Hans Stark, mais aussi d’Hélène Miard-Delacroix. Aussi a-t-il semblé nécessaire de tenter une clarification des positions en présence qui, tantôt, ne semblent pas si éloignées les unes des autres, tantôt paraissent pourtant bien s’opposer sur des questions qui ne sont pas de détail. J’ai posé cinq questions laissant chacun libres d’y répondre séparément ou en bloc, de mettre l’accent sur tel ou tel aspect des choses. Mené pour l’essentiel avant le mois de juin, ce débat ne prend pas en compte l’affaiblissement de la position allemande qui a suivi en Europe la crise grecque et la crise de l’Euro, sans parler de la décomposition tragique qui semble frapper, depuis sa constitution, la nouvelle coalition gouvernementale CDU/CSU-FDP conduite par la chancelière, au point que Der Spiegel titrait la page de couverture de son numéro 24, daté du 14 juin 2010 : « Aufhören », un appel évident à mettre un terme aux querelles de la coalition gouvernementale, voire à la coalition elle-même – sans que le magazine de Hambourg croie à une dissolution rapide de celle-ci. Pourtant, cette crise intervient à un moment où l’Allemagne semble frappée par une manie de la démission ou pour le moins du désengagement : démission du ministre-président Roland Koch, le fer de lance de l’aile conservatrice des Chrétiens-démocrates, qui, faute de trouver à Berlin un mandat à sa taille, préfère s’investir dans le privé, démission étonnante du Président fédéral qui prend les critiques de ses prises de position pour le moins maladroites sur l’Afghanistan et le combat des pirates au large de la Corne de l’Afrique comme une atteinte à la dignité de sa fonction. Il pouvait rétablir des propos prononcés avec trop de hâte – puisque il est clair que la politique étrangère n’est pas conduite par lui et que l’Allemagne n’est pas prête à faire la guerre pour défendre les exportations allemandes dans le monde – et rester en fonction. Sa démission provoque pourtant un bel imbroglio au point que le candidat chrétien-démocrate, Christian Wulff, actuel ministre-président de Basse-Saxe, doute de la victoire face au candidat présenté par le SPD et les Verts, le plutôt conservateur Joachim Gauck, ancien directeur des archives de la Stasi, capable de prendre des voix parmi les grands électeurs libéraux et peut-être même chrétiens-démocrates. Cela ne serait qu’un avatar de la vie politique allemande si cette incertitude n’était pas révélatrice d’un malaise plus profond de la société allemande et des élites politiques : après tout, Joachim Gauck ne serait-il pas le symbole apprécié d’une grande coalition qui ne dit pas son nom, dont les électeurs allemands disent ne pas vouloir et que beaucoup semblent pourtant regretter ? La puissance allemande semble, quelques mois après les élections législatives de septembre 2009, affaiblie et incapable de prétendre au leadership, quand bien même on lui reprocherait de vouloir imposer sans nuances son modèle à l’Europe.
Voici les cinq questions posées :
1. Tout le monde s'accorde à dire que l'Allemagne a tous les atouts et atours d'une puissance, mais n'est-ce pas là une approche triviale des choses qui comporterait le danger de mettre en avant le phénomène de puissance qui, associé à l'Allemagne, ne peut que provoquer un rejet dans la mesure où la puissance, découplée des objectifs poursuivis et des qualificatifs auxquels on s'attendrait - puissance européenne moyenne par exemple, comme ne cesse de le répéter Egon Bahr - semble induire que l'Allemagne existerait aujourd'hui d'abord dans sa relation à la puissance. Puissance au même titre que la France, la Grande-Bretagne, etc.., ne conviendrait-il pas d'abord de s'interroger sur les questions suivantes: En tant que quelle puissance l'Allemagne se perçoit-elle ou se définit-elle: une puissance centrale en Europe? Une puissance moyenne dans le monde? Une grande puissance? Quel usage entend-elle faire de sa puissance? Quels objectifs de politique étrangère poursuit-elle?
2. L'Allemagne a-t-elle abandonné la politique de retenue qui la caractérisait pendant la guerre froide? Pourquoi pratiquait-elle cette politique de retenue?
3. L'Allemagne est-elle devenue une puissance normale? Ne pourrait-on pas davantage parler d'une "normalité singulière" (J. Vaillant) non par goût du paradoxe mais pour tenir compte du fait que l'Allemagne continue d'avoir un statut militaire singulier (traité 2+4) et que le passé continue d'être une composante essentielle de sa politique étrangère, ce que l'on peut voir encore dans sa décision de participer en 2006 aux opérations de contrôle des côtes libanaises mais pas de la frontière terrestre entre le Liban et Israël pour ne pas faire courir le risque de confronter la Bundeswehr à d'éventuelles délicates rencontres avec des soldats israéliens ?
4. L'Allemagne est-elle devenue une puissance de médiation civile consciente de sa force et de sa valeur, pour reprendre la formule de Wichard Woyke? Une façon d'associer la retenue dans sa politique de retour sur la scène internationale?
5. Ou bien l'Allemagne est-elle déjà en train d'abandonner ce rôle de puissance civile qui cherche à se faire entendre pour demander plus clairement à être écoutée sur la scène internationale? Finalement, quels sont les objectifs que poursuit la politique étrangère de l'Allemagne vingt ans après son unification?
Débattre sereinement de la puissance allemande implique de ne pas plaquer un à-priori moral sur ce concept, simplement par ce qu'il a été dévoyé dans le passé. Il s’agit de vérifier si certains critères politiques, économiques, militaires et culturels sont remplis par l’Allemagne et d’étudier si au-delà même de ces critères il existe une capacité à exercer un leadership. Il faut donc distinguer les données et l’attitude. A côté des éléments de puissance de nature économique - première économie de l’Union européenne, dont elle représente 27% du PIB de la zone euro , une base industrielle en expansion et une capacité exportatrice impressionnante qui en fait la deuxième puissance commerciale du monde – l’Allemagne peut s’appuyer sur des facteurs institutionnels importants puisqu’elle dispose par exemple de 96 députés européens et de 18% des voix au conseil européen et que sa position de troisième contributeur au budget de l’ONU et deuxième à celui de l’OTAN est un atout majeur. Ces attributs de puissance sont déclinés comme leviers d’influence dans plusieurs documents officiels comme le Livre blanc sur la sécurité de l’Allemagne et l’avenir de l’armée fédérale. L’Allemagne ne se vit plus comme simple « puissance régionale » mais comme « puissance d’influence mondiale » comme l’attestent le discours d’une partie des intellectuels (notamment les historiens) et la fin de tabous politiques comme l’usage de l’armée fédérale comme instrument de politique étrangère ou la réorientation de la diplomatie allemande en faveur d’un accroissement de présence dans certaines régions du monde, par exemple le Proche Orient, que pour des raisons historiques elle cherchait à éviter. Cette évolution n’est pas uniforme. Elle se heurte encore au reste de la tradition de « puissance civile » comme l’ont montré les réactions à l’action militaire allemande en Afghanistan.
Eine sachlich geführte Debatte über die deutsche Macht setzt voraus, dass dieser Begriff mit keiner moralischen Voreingenommenheit belastet wird, und zwar nur weil er in der Vergangenheit missbraucht wurde. Es geht nur darum nachzuweisen, dass Deutschland bestimmte politische, wirtschaftliche, militärische und kulturelle Kriterien erfüllt und darüber hinaus eine Führungsstärke besitzt. Einerseits gibt es wissenschaftlich fundierte Angaben; andererseits spielt das Verhalten auf der internationalen Bühne eine Rolle. Neben den Charakteristiken der wirtschaftlichen Macht – Deutschland ist die erste Wirtschaftsmacht der EU, in der es 27% des BIP der Eurozone ausmacht; es hat eine sich im Aufschwung befindliche Industrie sowie eine beeindruckende Ausfuhrquote und ist damit die zweitstärkste Handelsmacht der Welt – sind institutionelle Faktoren besonders relevant, wenn man bedenkt, dass zum Beispiel die Bundesrepublik über 96 Europaabgeordnete und 18% Stimmen beim europäischen Rat verfügt und als drittstärkster Beitragszahler der UNO und zweitstärkster Beitragszahler der NATO grosse Einflussmöglichkeiten hat. Diese Machtattribute werden in mehreren offiziellen Arbeitspapieren und Dokumenten wie dem Weissbuch zur Sicherheitspolitik Deutschlands und zur Zukunft der Bundeswehr als Einflussmultiplikatoren ausgewertet. Deutschland fühlt sich nicht mehr als „regionale Macht" sondern als „Macht mit Welteinfluss“ wie durch den Diskurs von Intellektuellen (es sind vor allem Historiker) und das Ende von Tabus belegt wird. Dieses wird zum Beispiel an der Anwendung der Bundeswehr als Instrument der Aussenpolitik oder der Neuausrichtung der deutschen Diplomatie zugunsten einer wachsenden Präsenz in Regionen – wie dem Nahen Osten -, die bisher aus wohlverstandenen historischen Gründen eher vermieden wurden. Die Entwicklung nimmt natürlich keine einförmige Form an. Sie stösst auf die mit der restlichen Tradition der „Zivilmacht“ zusammenhängenden Bedenken, wie die Reaktionen auf das Handeln deutscher Soldaten in Afghanistan gezeigt haben.
Goethe und Marianne in den Tropen : deutsche und französische Kulturdiplomatie in Brasilien (2008-2009).
Dass der Kulturbegriff in den letzten Jahrzehnten an Wichtigkeit gewonnen hat und den Begriffen der „Zivilisation" und der „Gesellschaft“ den Vorrang geraubt hat, belegt nicht zuletzt Huntingtons Schlagwort vom „Kampf der Kulturen“. In diesem Zusammenhang wird den internationalen Kulturbeziehungen eine Funktion der Konfliktprävention zuerteilt. Der Vergleich zwischen den Kulturdiplomatien Frankreichs und Deutschlands in dem heute politisch und wirtschaftlich zentral gewordenen Brasilien stellt die Frage, ob die traditionelle Funktion der auswärtigen Kulturpolitik als soft power im Dienste der Machtpolitik in den Hintergrund getreten ist. Sowohl Frankreich als auch Deutschland sind an einer Partnerschaft mit dem „Lande der Zukunft“ (nach einem Wort von S. Zweig) interessiert, zumal kaum ein anderes Land so viele Goethe-Institute und Alliances Françaises zählt wie Brasilien. Dennoch zeigt ein Vergleich der beiden großen ausländischen Kulturveranstaltungen der Jahre 2008 und 2009, dem deutschen Kulturfest und der Année de la France 2009, dass die deutsche und die französische Regierungen das Verhältnis zwischen Kultur und Diplomatie noch recht unterschiedlich auffassen.
Goethe and Marianne in the tropics: the cultural diplomacies of Germany and France in Brazil (2008-2009).
Huntington's expression of “clash of cultures" exemplifies quite well the displacement of the words “civilization” and “society” by the concept of “culture”. This new vision is lending lustre to cultural diplomacy, which is considered as a contribution to conflict prevention. The comparison between French and German cultural policies in the powerful Brazil of today raises the question of the evolution of cultural diplomacy. Is its traditional function – cultural diplomacy as a “soft power” in the hands of the “hard power” (according to the concepts created by Joseph Nye) – really vanishing? Both Germany and France are very interested in a partnership with Brazil and can rely on the presence of a great number of Goethe-Institute und Alliances Françaises. However, the comparison between both most significant cultural events of the years 2008 and 2009, the deutsches Kulturfest and the Année de la France 2009, shows that the German and the French governments tackle the problematic relationship between culture and politics in very different ways. Thus, the Brazilian example permits to reflect two historical evolutions that still remain decisive today.
Les premiers mois de l'année 2010 ont été marqués par une curieuse ambiance politique, faite de dissensions au sein de la coalition gouvernementale sur pratiquement tous les sujets économiques et sociaux, de soulagement face au décollage, certes timide, mais avec une nette remontée des exportations, de l'économie allemande après la crise financière et d'attentisme face aux élections régionales en Rhénanie du Nord-Westphalie le 9 mai. En attendant cette échéance qui risque de peser sur l'orientation de la politique au niveau national, aucun des sujets qui fâchent n'est réellement abordé au sein de la coalition au pouvoir, de peur de mettre en péril les chances de son parti respectif. Si certains sujets, tels que la décision de la Cour constitutionnelle infirmant le mode de calcul des allocations versées aux chômeurs de longue durée, communément appelées Hartz IV ou les licenciements pour faute mineure ont soulevé les passions, d'autres sujets sociaux sont plus réjouissants, comme la féminisation de l'encadrement dans certaines grandes entreprises ou l'harmonie inédite qui a présidé au récent accord dans l'industrie allemande.
Féminisation de l'encadrement chez Deutsche Telekom
Sans vouloir imiter la Norvège et les Pays Bas qui figurent parmi les premiers pays européens à avoir introduit un quota de femmes dans leurs conseils d'administration, les entreprises allemandes semblent vouloir bouger pour mettre un terme à la présence quasi exclusivement masculine dans l'encadrement allemand. D'après une étude récente de l'Institut allemand pour la recherche économique (Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung, DIW), seuls 2,5% des membres du directoire dans les 200 plus grandes entreprises allemandes étaient des femmes en 2009. Un résultat particulièrement faible en comparaison internationale, car selon un sondage du World Economic Forum dans 600 entreprises de 20 pays, le taux allemand n'atteint que la moitié de la moyenne des autres pays.
Deutsche Telekom, le numéro un européen des télécommunications, est le premier grand groupe allemand parmi les trente entreprises cotées au DAX à vouloir faire bouger les lignes. Le 15 mars 2010, il a annoncé sa décision de mettre en place un quota de femmes au sein de son encadrement. Actuellement, le comité directeur et le conseil d'administration de Deutsche Telekom sont exclusivement constitués d'hommes ; le taux de femmes parmi les cadres dirigeants tourne autour de 12%, à peine supérieur aux 10% affichés par la France. Le groupe souhaite atteindre un taux de 30% de femmes parmi les cadres moyens et supérieurs d'ici 2015. Pour y parvenir, il souhaite élaborer un programme en coopération avec l'association pour la promotion des femmes dans les conseils d'administration (Verein zur Förderung von Frauen in Aufsichtsräten, Fidar), qui prendrait en considération une meilleure conciliation entre famille et activité professionnelle. Il s'agirait notamment de promouvoir le congé parental, le travail à temps partiel pour les cadres et les systèmes de garde d'enfants.
Thomas Sattelberger, membre du comité directeur en charge des questions du personnel, avait annoncé dès son arrivée chez Deutsche Telekom en 2007 que la promotion de femmes à des postes de responsabilité était une de ses priorités. Pour lui, trois raison plaident en faveur d'un plus grand nombre de femmes dans l'encadrement : premièrement, il estime que l'égalité des chances est une question de fairness et de moralité ; puis, la promotion de femmes est une nécessité en termes de gestion du personnel dans un contexte de raréfaction croissante de talents ; puis, la présence de femmes capables au sein du management accroît la qualité des solutions aux problèmes. Plusieurs études internationales ont en effet montré que les sociétés ayant un taux élevé de femmes cadres affichent de meilleurs résultats. L'instrument utilisé, l'introduction de quotas, reste toutefois controversé. Si un nombre croissant d'entreprises, notamment parmi les plus grandes, affichent leur volonté de féminiser l'encadrement, aucune n'a jusqu'à présent suivi l'exemple de Deutsche Telekom.
Si la ministre de la Famille, Kristina Schröder (CDU), n'exclut pas l'introduction de quotas « en dernier recours », Berlin ne souhaite pas les imposer pour l'instant. L'exemple de la Norvège donne toutefois à réfléchir : le quota de 40% de femmes dans les conseils d'administration imposé par le gouvernement aux entreprises norvégiennes en 2008 a été très rapidement atteint : il est de 42% en 2010, ce qui montre que l'introduction de quotas peut effectivement servir d'accélérateur. La Confédération des syndicats allemands DBG s'est prononcé en faveur de l'introduction d'une loi analogue en Allemagne, mais l'écho que cette proposition a rencontré reste jusqu'à présent plutôt réservé.
Les minima sociaux en débat
La loi Hartz IV, devenu synonyme de pauvreté et d'exclusion, est à nouveau en débat en Allemagne. Entrée en vigueur au 1er janvier 2005, cette pièce maîtresse des réformes de l'Agenda 2010 du Chancelier Schröder qui a fusionné l'assistance chômage et l'aide sociale, concerne actuellement un Allemand sur onze. Plus de 6 millions de bénéficiaires de cette nouvelle allocation, essentiellement des chômeurs de longue durée et leurs familles, vivent avec un versement qui atteint 359 € par mois plus le loyer et le chauffage pour un célibataire auquel s'ajoutent 323 € pour le conjoint et un montant allant de 215 à 287 € par enfant, calculé en fonction de l'âge. L'alignement de l'assistance chômage sur l'aide sociale ayant réduit leur niveau de vie, de nombreux bénéficiaires de Hartz IV ont porté plainte devant les tribunaux, des plaintes qui sont parvenues jusqu'aux juges de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.
Les pères de la réforme souhaitaient avant tout éviter de favoriser l'assistanat au détriment de la reprise d'un emploi, conformément au fameux slogan Fördern und fordern (promouvoir et exiger). Contrairement au mode de calcul en vigueur auparavant qui proposait une somme forfaitaire accompagnée de la possibilité d'obtenir des compléments financiers pour des dépenses extraordinaires, la nouvelle méthode repose sur une évaluation très précise des besoins, des besoins d'un adulte. C'est ce qu'ont notamment souligné les plaignants auprès de la Cour constitutionnelle qui s'estiment lésés dans le décompte de leurs ressources. Ils posent notamment la question de savoir pourquoi l'allocation perçue pour chaque enfant est établie sur la base du barème appliqué aux adultes - 60, 70 ou 80% du taux selon l'âge -, au lieu de prendre en considération les besoins propres des enfants : des couches-culottes pour les bébés et des cartables pour les écoliers, p. ex. ; de même, les loisirs des enfants ne sont pas prévus dans le décompte. Au-delà du barème appliqué à chaque dépense, la question posée aux juges de la Cour constitutionnel est de portée plus générale : comment définir les besoins d'une personne, mineure ou majeure ? Est-ce suffisant de ne tenir compte que des besoins physiques, ou faut-il aussi y inclure les besoins sociaux, et ce jusqu'à quel point ? Les allocataires de Hartz IV, notamment les enfants pauvres, dont le nombre s'est accru plus rapidement en Allemagne qu'ailleurs en Europe, souffrent du manque de contacts sociaux. Mais les frais d'abonnement à un club sportif, pour ne citer que cet exemple, ne sont pas prévus dans le barème de Hartz IV.
Comme prévu, l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 9 février 2010 invalide le mode de calcul de l'allocation Hartz IV (ALG II), estimant qu'il viole le droit à un minimum vital digne, garanti par la Loi fondamentale. Au-delà de la garantie de la survie physique, il doit assurer à chaque personne qui se trouve dans la nécessité les conditions matérielles indispensables à son existence physique et à un minimum de participation à la vie sociale, culturelle et politique. La Cour enjoint l'Etat de modifier ces dispositions avant le 31 décembre 2010, sans toutefois dire expressément qu'il faille relever les taux. Le gouvernement n'avait toutefois pas attendu l'arrêt de la Cour constitutionnelle pour agir. Plusieurs modifications du dispositif sont intervenues pour amortir les effets les plus durs de la loi. Auparavant, les bénéficiaires devaient puiser d'abord dans leur patrimoine avant de pouvoir se voir accorder l'allocation Hartz IV. Au début de l'année 2010, le gouvernement Merkel a assoupli cette mesure, triplant le montant de leurs économies protégées (de 250 à 750 euros par année de vie, c'est-à-dire 37 500 euros pour un chômeur de 50 ans) dans lesquelles les chômeurs en fin de droits n'ont pas à puiser avant de pouvoir bénéficier de l'allocation.
Bien que la Cour n'ait pas expressément exigé un relèvement de l'allocation, son arrêt devrait avoir des conséquences importantes. Il devrait probablement conduire à alourdir le fardeau des dépenses sociales supporté par l'Etat, car tous s'attendent à un relèvement de l'allocation chômage de longue durée. L'Agence fédérale pour l'Emploi avance le chiffre de 420 € par mois pour un célibataire au lieu des 359 versés actuellement. Une telle mesure risquerait non seulement d'accroître considérablement la charge financière de l'Etat, mais aussi d'augmenter le nombre de bénéficiaires de deux millions. Au-delà de cet aspect financier, se pose aussi la question de l'écart entre le salaire de travail et celui de substitution qu'il convient de conserver. Si certains, tels que le ministre-président du Land de Hesse, Roland Koch, réclament l'introduction du travail obligatoire pour les allocataires de Hartz IV, d'autres s'interrogent sur la nécessité d'introduire un salaire minimum général afin de maintenir le principe que l'emploi doit payer plus que le non-emploi. En attendant une refonte du mode de calcul de l'allocation chômage de longue durée, le ministère du Travail a établi un catalogue de besoins sortant de l'ordinaire dont le financement pourrait être assuré par l'Etat.
Polémique sur les licenciements pour faute mineure
Depuis quelques mois, des licenciements pour faute mineure (Bagatellkündigungen) suscitent l'indignation de l'opinion publique. En février 2009, un tribunal avait confirmé le licenciement d'une caissière de supermarché à Berlin après trente ans d'ancienneté, pour avoir encaissé à son profit deux bons de retour de consigne pour des bouteilles oubliés par des clients, d'une valeur de 1,30 € ; en juillet, une secrétaire avait été contrainte de quitter son poste après avoir mangé une boulette de viande lors d'une réception avec des clients ; au mois d'octobre, un juge a confirmé le renvoi d'une aide-soignante de 58 ans employée dans une maison de retraite pour avoir emporté les restes du repas d'un patient. Selon ses dires, elle devait participer à une formation le soir même sur son lieu de travail, ce qui l'empêchait de rentrer dîner ; par ailleurs, les raviolis incriminés étaient de toute manière destinés à la poubelle. On pourrait continuer longuement cette liste de licenciements pour délits mineurs, tel le cas de ce conducteur de bus dans la ville thuringeoise d'Ilmenau, licencié pour avoir emporté dans son bus un rouleau de papier toilette appartenait à sa société, ou celui de l'ouvrier qui a chargé son téléphone portable à la prise de son entreprise - dommage pour l'employeur : 0,014 centimes d'euro.
Les licenciements pour faute mineure ne datent pas d'hier. La Cour fédérale du travail, dans une décision de fond de l'année 1984, a jugé que le vol ou le détournement de propriété d'une l'entreprise par un salarié justifie son licenciement sans préavis. La valeur de l'objet volé n'entre pas en considération. Ces licenciements secs connaissent toutefois un retentissement particulier en ces temps de crises, où le côté prétexte des causes de bon nombre de ces licenciements est ressenti avec une acuité particulière. Aussi ridicules que ces cas puissent paraître, pour les salariés concernés, ils sonnent souvent le glas de leur carrière. Souvent âgés de plus de quarante ou de cinquante ans, ils sont trop jeunes pour partir à la retraite et trop vieux pour se réinsérer. Il ne leur reste que les allocations Hartz IV pour assurer leur quotidien.
Les Bagatellkündigungen ont refait la une des journaux à la fin de l'année 2009, lorsque Ingrid Schmidt, la présidente de la Cour fédérale du travail a légitimé les licenciements sans préavis estimant « qu'il n'y a pas de délits mineurs » et que le comportement de ces salariés témoigne d'un « manque de bonnes manières ». Elle a admis ouvertement qu'en réalité, il ne s'agissait pas de rouleaux de papier toilette ou de ravioli. Les licenciements pour délits mineurs ne sont souvent qu'un prétexte pour se débarrasser d'un salarié qui « ne participe pas suffisamment à l'intérêt de l'entreprise ». Si le salarié licencié porte plainte devant le tribunal du travail, il faut qu'il prouve que l'employeur a une raison autre que celle avancée pour se séparer de lui, ce qui est très difficile, alors que pour l'employeur, il suffit d'un « soupçon fondé » pour justifier le licenciement.
La décision de la présidente de la Cour fédérale du travail a donné lieu à de violentes réactions, dressant les politiques de droite et de gauche les uns contre les autres et opposant les ténors politiques aux représentants des professions juridiques. Le parti social-démocrate (SPD) notamment, ne souhaite pas laisser passer cette occasion pour se profiler comme soutien des salariés. Le 9 février 2010, les groupes parlementaires social-démocrate et Die Linke ont présenté, chacun de son côté, une proposition de loi pour modifier la loi sur la protection contre les licenciements pour faute mineure. Les deux partis proposent que tout licenciement pour délit mineur qui porte sur des objets de faible valeur économique soit précédé en règle générale (SPD) ou toujours (Die Linke) par un avertissement. Die Linke souhaite aller plus loin et faire supprimer le licenciement basé sur le soupçon développé par la jurisprudence, et ce de façon générale, et non seulement pour des délits mineurs.
L'initiative des partis de gauche est diversement salué. Le public approuve, estimant qu'il n'est pas normal qu'on licencie quelqu'un pour une faute vénielle, alors qu'on donne un bonus à un manager qui mène son entreprise à la faillite. Le parti chrétien-démocrate (CDU), pour sa part, la qualifie d'« actionnisme » , et la présidente de la Cour fédérale du travail s'y oppose publiquement en estimant que « de nouvelles lois devraient résoudre les problèmes et non pas les créer ». Les professions juridiques, plus nuancées, sont également contre l'introduction d'une procédure d'avertissement, mais surtout dans les cas de vols d'argent, peu importe la somme dérobée. Pour les cas de vol de nourriture, la situation mériterait, selon eux, d'être clarifiée. Une loi contre les licenciements pour délits mineurs ne leur paraît pas nécessaire en l'état des choses, la jurisprudence donnant suffisamment de marge de manœuvre aux tribunaux du travail.
Harmonie patronale et syndicale inédite dans l'industrie allemande
Si les regards des Allemands sont braqués sur la Rhénanie du Nord-Westphalie, ce n'est pas seulement en raison des élections régionales du 9 mai. En tant que Land le plus peuplé, au poids économique considérable, la Rhénanie du Nord-Westphalie sert aussi souvent de région pilote pour la conclusion de conventions collectives entre le patronat et les syndicats. C'était encore le cas au mois de février où ce Land, avec celui du Bade-Wurtemberg, était le théâtre des négociations avancées entre le syndicat IG Metall et son partenaire patronal Gesamtmetall. Après des discussions marathon de 13 heures, un accord a été conclu le 18 février qui satisfait les deux parties, et ce, sans grève et sans manifestations. Le président du syndicat IG Metall, Berthold Huber, et son homologue au patronat, Martin Kannegiesser, se sont félicités d'un accord qui, tenant compte de la crise, prévoit un partage équitable des sacrifices.
Dans ce secteur très touché par la crise - l'année 2009, année noire, a vu un recul des commandes de près de 40% -, le syndicat IG Metall, une première dans son histoire, est entré dans les négociations sans présenter d'exigences chiffrées concernant les augmentations salariales. Sa priorité portait sur le maintien de l'emploi dans ce Land qui compte 700 000 salariés dans le secteur de la métallurgie, un souci qui est au cœur de l'accord conclu. Le chômage partiel, la mesure phare de l'année 2009, qui avait permis de freiner considérablement l'accroissement du chômage, sera prolongé selon les besoins des entreprises. Le temps de travail pourra être réduit jusqu'à 28 heures par semaine, mais le manque à gagner pour les ouvriers sera partiellement compensé. L'aspect augmentation des salaires n'est pas oublié pour autant, même s'il reste secondaire comparé aux mesures de garantie d'emploi. L'accord précédent terminé au mois d'avril 2010 avait stipulé encore 4,2% d'augmentation sur 18 mois assortie d'un versement unique. La nouvelle convention prévoit un versement unique de 320 € pour l'année 2010 et une augmentation de 2,7% au 1er avril 2011. L'accord négocié en Rhénanie du Nord-Westphalie, qui court jusqu'en avril 2012, sera progressivement appliqué à toutes les entreprises du secteur qui compte 3,4 millions de salariés dans toute l'Allemagne. Les partenaires sociaux, unis dans le souci de préserver l'emploi, espèrent qu'il les aidera à sortir ensemble de la crise.
Certaines grandes entreprises n'ont pas attendu cet accord pour agir dans le même sens. Ainsi, le constructeur automobile Volkswagen, qui s'était retiré de l'association patronale Gesamtmetall, s'est entendu avec ses salariés sur une garantie de l'emploi jusqu'en 2014 en échange d'un accroissement de la productivité. Précurseur dans le domaine de la flexibilité du temps de travail, avec la fameuse semaine de 28 heures introduite par Peter Hartz, le père des lois Hartz actuellement en débat, VW a souvent su innover dans ce domaine. Si la gestion judicieuse des relations sociales, dont cet accord est une illustration, a permis de limiter la montée du chômage, qui a plafonné à 8,2% en février 2010, elle a néanmoins un inconvénient : elle ne favorise pas la consommation. Mais, contrairement à la plupart des pays européens, dont la France, l'Allemagne préfère suivre la voie de la modération salariale pour maintenir sa compétitivité, ce qui lui a manifestement réussi ces dernières années.
Brigitte.Lestrade@u-cergy.fr
Cet ouvrage important de 420 pages, réalisé avec le soutien de l'Institut historique allemand de Paris, présente les résultats d’un colloque qui s’est tenu les 10 et 11 mai 2007 dans les locaux de ce même Institut. Le colloque fut le point d’orgue d’une série de rencontres en ateliers dont les séances se sont tenues de 2004 à 2007. Il comble une bonne partie du manque de références quant à l’étude récente des relations économiques et financières entre la France et l’Allemagne des 140 dernières années. Alors que la production historiographique comparant les relations culturelles et politiques reste importante, souvent liée à des commémorations de grands moments de l’amitié franco-allemande ou des césures historiques majeures, les relations économiques entre les deux pays-moteurs de la construction européenne n’ont pas été étudiées avec la même intensité. Et pourtant, c’est sur le plan économique que l’apport des deux pays à la construction européenne a été, et l’est toujours (comme le prouve la crise actuelle de l’espace euro), le plus fondamental. C’est la construction européenne qui a permis aux relations économiques entre les deux pays de s’épanouir, des relations, qui ne datent pas seulement des premières heures de l’Europe actuelle, mais qui plongent leurs racines dans près de 140 ans d’histoire commune. L’ouvrage présenté ici en est le témoin. Cette histoire, bien qu’aussi mouvementée et remplie de césures et de ruptures que celle des relations politiques et culturelles, est l’histoire de deux pays géographiquement, démographiquement, intellectuellement et économiquement plutôt proches (voire la figure 1, p. 273, qui montre l’évolution quasi-identique du PIB par habitant de 1900 à 2005), deux pays donc qui étaient, et qui sont toujours quasi naturellement faits pour se rencontrer et pour exploiter dans une étroite entente leurs multiples potentiels et complémentarités. L’ouvrage, avec ses 18 contributions (introduction et conclusion incluses), parvient à éclairer par l’analyse approfondie et subtile bon nombre de ces configurations historiques où les relations économiques oscillent sans cesse entre concurrence, collaboration et coopération, relations qui sont le plus souvent ou encouragées ou entravées par la sphère politique. Ce qui montre que le poids politique, jusqu’à nos jours, ne saurait être ignoré dans ce champ d’investigation.
L’ouvrage aborde les 140 dernières années d’histoire économique commune de façon chronologique. Quatre contributions se penchent sur la période qui part de la construction du deuxième Reich allemand et qui se termine par la grande déflagration de 1914-18. Boris Barth montre que la haute finance a su, jusqu’au déclenchement du conflit, garder une relative indépendance par rapport aux priorités politiques. Cet « âge d’or » de l’allocation du capital qui cherche à s’investir dans les activités les plus rentables en Europe même mais aussi dans l’Empire ottoman, en Chine, en Égypte, en Amérique latine et ailleurs, se fonde aussi sur une certaine coopération entre banques françaises et allemandes. Mylène Natar-Mihout éclaire la simultanéité, non exempte de rivalités, des investissements allemands et français en Pologne et leur apport commun à l’industrialisation durable de ce pays, l’un des fondements du succès économique actuel du partenaire polonais dans l’Union européenne. Uwe Kühl se penche sur la question de l’électrification des deux pays. Si en Allemagne, le système des régies municipales (et donc un certain « socialisme » municipal) reste dominant, il ne parvient pas à s’enraciner en France, malgré une interpénétration industrielle et commerciale relativement forte dans le domaine électrotechnique. Une coopération sur les marchés tiers se dessine même, contrariée toutefois par le déclenchement de la Grande Guerre. Il en va tout autrement dans la chimie organique où la domination allemande est très forte au début du 20ème siècle (85% du marché mondial). Les entreprises allemandes investissent beaucoup en France afin d’y produire et de commercialiser les produits jalousement protégés par les innombrables brevets. La contribution d’Erik Langlinay prouve que le protectionnisme scientifique était un moyen pour préserver la suprématie de la chimie allemande. Cette politique pousse les entreprises françaises à se tourner vers la pharmacie industrielle, non sans succès car plus tard, Hoechst sera reprise par Rhône-Poulenc pour former le géant Aventis, lui-même repris ensuite par Sanofi (au détriment de Novartis) par la volonté du gouvernement Raffarin.
Ensuite, Sylvain Schirmann se penche sur l’évolution du commerce franco-allemand entre la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale. Il montre comment ce commerce est progressivement soumis aux intérêts de l’Allemagne nazie qui prépare activement le conflit à venir. Il conclut : « Les relations commerciales entre les deux pays sont au même titre que les relations politiques une illustration de la faiblesse française » (p. 143). Les adeptes de la politique de l’apaisement auraient donc dû lire plus en détail les statistiques du commerce extérieur franco-allemand pour se faire une idée plus claire des intentions de Hitler. Denis Brunn étudie l’action des entreprises allemandes en Lorraine avant et après la seconde guerre mondiale. Il explique comment certaines des PME allemandes qui avaient été présentes en Lorraine à la suite de la guerre de 1870/71 retrouvent le chemin vers cette région, un effort vite ruiné par le nouvel affrontement qui se prépare. Le rétablissement de la démocratie en Allemagne de l’Ouest et la naissante amitié franco-allemande ouvre une nouvelle fois les portes à l’implantation de PME allemandes en Lorraine mosellane et « forment ensuite le contingent le plus nombreux parmi les entreprises étrangères en Lorraine » (167).
Sont présentées ensuite quatre contributions qui se penchent plus particulièrement sur les Années Noires et l’immédiat Après-guerre. L’époque de l’Occupation 1940-44 est étudiée par Fabian Lemmes à partir des relations entre entreprises des deux pays dans le secteur du bâtiment. Il conclut que la collaboration notoire dans ce secteur n’a pas été le fait de contraintes directes et généralisées, mais était plutôt due à « la réglementation et d’une combinaison d’incitations financières et de mesures coercitives au coup par coup » (p. 199), créant un certain « contexte » favorable aux collaborations. Marcel Boldorf élargit ensuite la question de la collaboration à l’ensemble des « contacts économiques » et à leur évolution au fil des années. Hervé Joly revient au comportement des entreprises des deux pays dans la chimie organique, à partir des années 1920 jusqu’aux années 1950. La politique économique de la France en zone occupée depuis 1945 est présentée par Martial Libera qui en analyse toutes les contradictions et révisions successives.
Mark Spoerer parvient sur 20 pages à analyser les sources et du Miracle économique allemand et de la Planification à la française. Il montre l’importance, dans les deux pays, des forces de rattrapage alimentées à la fois par l’effort de reconstruction mais aussi par le retour à l’économie de marché, à l’ouverture au marché mondial et au libre-échange - sans oublier le développement des social capabilities, essentiellement dues au niveau des connaissances techniques et scientifiques. Ce sont elles, qui permettaient de suivre le pays-leader, les Etats-Unis, à condition d’avoir auparavant requis un fort niveau d’indépendance et de liberté, facteurs de prospérité inaccessibles à la fois pour les pays du Bloc communistes et les dictatures de l’Europe du Sud. Laurent Warlouzet s’intéresse à la question des efforts de l’institutionnalisation des relations industrielles bilatérales et constate l’échec relatif des deux tentatives, le Bureau industriel franco-allemand et le Comité franco-allemand de coopération économique et industrielle. Sans résultats tangibles, l’institutionnalisation des relations industrielles fera place au lobbying patronal bilatéral. Claus W. Schäfer se penche sur les relations économiques plus récentes « à l’ère de la mondialisation » et en analyse les liaisons parfois « compliquées ». Ulrich Pfeil ramène le lecteur à un chapitre largement occulté des relations bilatérales, les rapports économiques que la France a entretenus avec la RDA sous l’œil suspicieux de la RFA.
Le livre est complété par deux analyses monétaires et financières : Dimitri Grygowski retrace l’attitude et la coopération des deux pays faces aux turbulences monétaires qui ont entravé les relations économiques durant deux décennies, jusqu’au moment où les deux pays proposent à l’Europe une issue viable dans le cadre du SME de 1978, précurseur de l’euro ; Hubert Bonin revient à la thématique du début de livre, les relations financières et bancaires. Si l’on devait faire un reproche à l’ouvrage, ce serait celui d’une assez forte spécialisation des nombreuses contributions et l’absence de l’intégration de celles-ci dans une vue d’ensemble, une histoire intégrée des relations économiques franco-allemande dont un certain nombre de « pierres de taille / Bausteine » est pourtant bien réuni ici. Mais l’introduction et la conclusion donnent un aperçu intéressant d’une histoire bilatérale compliquée et riche en facettes, dont l’ouvrage présente bon nombre d’aspects essentiels.
Repas de fête, vacances à la mer, défilés, manifestations sportives, champs de bataille, ghettos, camps de concentration, hôpitaux de campagne, partisans pendus, exécutions sommaires : des centaines de photos, ravivant la vie quotidienne en Allemagne sous Hitler, ont été rassemblées dans ce recueil par le rédacteur en chef du journal satirique Charlie Hebdo, Riss. Ce dernier a acheté tous les clichés via internet à des marchands qui les ont récupérés dans les liquidations d'héritages, comme si les Allemands se défaisaient de leurs souvenirs de l’époque en bazardant leur mémoire sur le site d’enchère eBay.
Les photos, prises par des civils ou soldats allemands sur le front, constituent un témoignage exceptionnel de la vie sous le Troisième Reich. Elles représentent des tranches de vie des années 1930 et 1940. Personne ne peut dire de manière précise où ni quand elles ont été prises, puisque leurs auteurs sont anonymes, des soldats pour la plupart du temps qui voulaient raconter ce qu’ils avaient vu sur le front et continuaient, de retour à la maison, à photographier amis ou famille. Le lecteur est confronté à des prises de vue terribles – soldats morts laissés au milieu d’un chemin, leurs corps se mélangeant un peu plus à la boue à chaque passage de véhicule, ou un prisonnier russe, mort-vivant, qui doit être aidé pour s’alimenter – et à des photos pouvant prêter à rire – un couple de messieurs en maillot de bain, dont un arbore sur son slip le sigle de la SS, ou un soldat qui dans l’immensité du front russe dépose sa petite commission. Cette chronique photographique du nazisme ordinaire aurait cependant mérité d’être complétée par une solide réflexion scientifique. En effet, les clichés ne sont accompagnés que par des légendes très brèves, approximatives, voire grotesques et absurdes (« Têtes blondes défilant sous une tête de mort » ou « Un soldat mort est enterré à même la terre, sans cercueil. Un drap le recouvre, mais il est un peu trop court car un de ses pieds dépasse) suscitant dès lors un profond malaise. Certes, l’éditeur rappelle dans sa courte préface que la « grande leçon et la vertu de ce recueil » c’est que les « barbares étaient des humains comme vous et moi. Ne pas l’oublier est le premier enjeu du devoir de mémoire ». En ce sens, ce livre donne une vision troublante du nazisme au quotidien et vient enrichir la thématique de la « banalité du Mal ».
L'argument de lacune à combler dans les préfaces des ouvrages scientifiques n'est souvent qu’une figure rhétorique. Cependant cet argument est tout à fait justifié dans le cas du « Dictionnaire des relations franco-allemandes » paru l’année dernière : les jeunes Français et Allemands intéressés par les relations franco-allemandes ont pu constater lors de leurs séjours scolaires et études universitaires l’absence d’un ouvrage de référence dans ce domaine. Il s’est accumulé dans les dernières décennies un nombre considérable de publications sur les « relations franco-allemandes », mais il est étonnant de constater qu’il n’y avait jusque peut de temps aucun ouvrage à caractère encyclopédique consernant l’univers franco-allemand. Ainsi, les initiateurs et directeurs du présent ouvrage – Isabelle Guinaudeau, Astrid Kufer et Christophe Premat – ont le mérite d’avoir proposé un livre qui aborde le franco-allemand dans une forme très synthétique complètant en quelque sorte l’ouvrage codirigé par Jacques Leenhardt et Robert Picht portant sur le « commerce franco-allemand des idées » . Le fait que « Le dictionnaire des relations franco-allemandes » a été conçu et réalisé par les jeunes chercheurs français et allemands et publié en même temps en France et en Allemagne a constitué sans aucun doute un effort considérable. Il prouve à la fois l’efficacité du collège doctoral en sciences sociales qui a été crée il y a quatre ans dans le cadre de l’Université franco-allemande.
Le présent ouvrage contient 90 entrées de taille variable et il est en fait beaucoup moins opulent que les ouvrages encyclopédiques parus dans le dernier temps concernant l’Allemagne et le monde germanique vus par les Français ou un aperçu synthétique des facettes multiples de la société française élaboré par les auteurs allemands. Les notices dans le présent dictionnaire portent sur l'histoire des relations franco-allemandes (Révolution française, Napoléon, première guerre mondiale), l’institutionnalisation de coopération entre les deux pays (Institut franco-allemande de Ludwigsburg, OFAJ), le réseau d'initiatives issues de la société civile (prisonniers de guerre, jumelages), la coopération culturelle (festival de Donaueschingen ou Dada), économique (EADS) et politique (moteur franco-allemand). De plus, quelques notices concernent les acteurs du franco-allemand (Joseph Rovan ou Alfred Grosser) et la perception réciproque des Français et des Allemands (ennemi héréditaire, stéréotypes ou réconciliation) ainsi que les sources de divergences et de malentendus franco-allemands (traduction, politique énergétique ou Euro).
« Le Dictionnaire des relations franco-allemandes » offre beaucoup d’articles très informatifs et bien écrits (p.ex. sur les rencontres de Blaesheim, l’Institut franco-allemand ou sur les relations entre la France et la RDA) mais au total la qualité des contributions n’est pas constante. Un reproche pourrait également être formulé envers la qualité des traductions en allemand. Cet aspect ainsi qu’un certain nombre des fautes de frappe dans l’édition allemande semblent témoigner de la dominance des auteurs français dans le travail sur cet ouvrage collectif. Il est d’ailleurs dommage que les directeurs du présent dictionnaire n’aient pas donné plus d’informations sur la conceptualisation de leur ouvrage et le processus transfrontalier de sa réalisation. Le lecteur obtient une masse considérable des notices mais il peut également gagner l’impression que le terme « relations franco-allemandes » constitue dans le présent ouvrage une notion aux contours très flous. Il est certainement un vrai défi de rassembler dans un volume toutes les connaissances sur les « idées » et les « faits » des relations franco-allemandes en s’appuyant sur plusieurs disciplines ; justement la complexité d’une telle entreprise demanderait une définition exacte des critères de choix des entrées et leur conséquente application. Il est vrai que les directeurs évoquent le principe d’exemplarité, mais malheureusement les critères de choix n’ont pas été expliqués. On trouve par exemple un article sur Alfred Grosser mais rien sur Carlo Schmid, Brigitte Sauzay ou Daniel Cohn-Bendit, on trouve un article sur Paul Celan, mais aucune entrée concernant par exemple Claire et Ivan Goll. Il y a une contribution sur les événements de 1848, 1939-40 et 1968, mais on cherche en vain les dates 1918 ou 1989. En outre, le « Dictionnaire des relations franco-allemandes » ne comporte aucune notice sur la problématique du fédéralisme allemand et du centralisme français, la Grande Région ou les huguenots. Par conséquent, il se pose la question de savoir est-ce qu’il ne serait pas mieux de se concentrer sur les relations franco-allemandes au XXe siècle ou sur l’histoire du temps présent pour cerner l’univers du franco-allemand de manière plus détaillée et plus analytique.
Les entrées ont été complétées par des indications bibliographiques et il y a deux instruments facilitant l’orientation : les renvois attirent l’attention des lecteurs aux autres articles abordant le même problème ou des questions liées thématiquement et un registre alphabétique permet de faire une recherche par nom propre ou mot-clé et de se repérer rapidement dans les entrées. Mais si on compare les deux éditions, on constate une différence visible au premier coup d’œil : la mise en page dans l’édition française est beaucoup mieux faite et par conséquent – même qu’il s’agit du même contenu – elle est beaucoup plus agréable à lire que la version allemande. « Le Dictionnaire des relations franco-allemandes » veut répondre à un besoin et satisfaire plusieurs exigences : il s’agit d’un outil d’explication et de vulgarisation et « d’une réflexion critique ayant pour objet de « questionner » par des regards croisés la coopération franco-allemande au-delà du caractère institutionnel de l’amitié et des péripéties de l’actualité immédiate. » (p. 13). Le présent ouvrage s’adresse à toute personne intéressée au franco-allemand pour des raisons personnelles ou professionnelles, tout d’abord aux lycéens et étudiants qui apprennent la langue du pays voisin. A cet égard, on remarque un déficit étonnant : l’absence de la Toile. Il est vrai que quelques auteurs évoquent les pages d’accueil des institutions ou des organisations présentées dans leurs articles, mais une liste exhaustive des liens utils pour ce qui s’intéressent au franco-allemand manque.
- Kornelia KONCZAL -
Jacques Leenhardt, Robert Picht (dir.) : Au jardin des malentendus. Le commerce franco-allemand des idées. éd., nouv. éd., augm. et actualisée. Arles: Actes Sud, 1997 [1990]. Jacques Leenhardt, Robert Picht (Hg.): Esprit - Geist. 100 Schlüsselbegriffe für Deutsche und Franzosen. 2. Aufl. München: Piper, 1990 [1989].
Élisabeth Décultot, Michel Espagne, Jacques Le Rider (dir.): Dictionnaire du monde germanique. Paris: Bayard, 2007.
Bernhard Schmidt, Jürgen Doll, Walther Fekl, Siegfried Loewe, Fritz Taubert : Frankreich-Lexikon. Schlüsselbegriffe zu Wirtschaft, Gesellschaft, Politik, Geschichte, Kultur, Presse- und Bildungswesen. 2., überarb. Aufl. Berlin: Erich Schmidt, 2008.
Au cours des vingt dernières années, l'historiographie de la guerre et de l’après-1918 a connu un renouvellement profond dont l’équipe internationale de l’Historial de Péronne est aujourd’hui encore, le fer de lance. Après le long primat de l’histoire militaire, diplomatique et sociale, le glissement des centres d’intérêt vers une histoire culturelle riche de nombreux apports théoriques a permis de restituer une vision dynamique et stratifiée des logiques à l’œuvre dans les périodes de guerre et de sortie de guerre. Cette reviviscence historiographique a particulièrement profité à l’axe franco-allemand donnant lieu à des ouvrages fondateurs tels celui de Jean-Jacques Becker et de Gerd Krumeich publié à l’occasion du 90ème anniversaire de l’armistice. Consacrée aux années courant de la fin des hostilités à l’arrivée des Nazis au pouvoir, l’étude de Nicolas Beaupré en est le prolongement direct. Elle témoigne par ailleurs de l’émergence de nouvelles générations d’historiens, réellement binationaux et plus attentifs à des réalités qui, dans des configurations antérieures, étaient difficiles à percevoir. Traduit par Gaby Sonnabend – historienne connue pour sa biographie de Pierre Viénot –, ce volume est le huitième d’une série de onze ouvrages couvrant l’histoire des relations franco-allemandes du Bas Moyen Age à nos jours. On ne peut que se réjouir de l’ampleur de cette initiative lancée en 2005 par l’Institut Historique Allemand et éditée par la Wissenschaftliche Buchgesellschaft. Les volumes, somme toute plutôt compacts (280 pages en moyenne), sont accompagnés d’une bibliographie comprenant près de 1000 titres classés par thèmes ! Leur intérêt est donc tant scientifique que bibliographique pour le chercheur souhaitant prolonger la réflexion.
L’ouvrage de Nicolas Beaupré est divisé en deux parties de longueur sensiblement identique. Composée de six chapitres organisés de manière chronologique, la première partie (« Überblick ») s’attache à donner une vision comparée de la manière dont les deux pays sont sortis de la guerre (p. 19-67), ont envisagé une politique de réconciliation aux dimensions européennes (p. 68-92) avant d’être entraînés dans un cercle vicieux cumulatif favorable à la montée des idéologies (p. 93-103). Dans le sillage des réflexions développées ces dernières années par les chercheurs travaillant sur les démobilisations politiques et culturelles, Nicolas Beaupré est particulièrement attentif à l’après-1918, période capitale en ce qu’elle détermina la nature et la qualité de la « paix » qui s’instaura à partir de 1924 (p. 68-92). Son étude nous aide à comprendre pourquoi cette « paix » fut si difficile à établir dans les faits, viciée qu’elle était par Versailles, les expériences d’occupation dans l’Allemagne des marges et la prégnance des conflictualités héritées de la guerre. Ceci amène ensuite l’auteur à interroger de manière convaincante les fondements de la rupture que représenta le (finalement) très fragile apaisement locarnien.
La deuxième partie de l’ouvrage (« Fragen und Perspektiven ») feuillette quelques épisodes de l’histoire des relations franco-allemandes selon la méthode du « penser par cas » définie par Jean-Claude Passeron et Jacques Revel. Raisonnant à partir de 8 configurations singulières, Nicolas Beaupré réfléchit à la façon dont les sociétés françaises et allemandes ont donné un sens à la guerre et réinvesti la mémoire de celle-ci, notamment pendant les périodes d’occupation (ou considérées comme telles). C’est peut-être là que l’ouvrage est le plus novateur. Le chapitre consacré aux « territoires à plébiscite » (« Die Mandatsgebiete : Besatzung und französische Einflussnahme auf deutschem Gebiet », p. 155-164) mérite à ce titre de retenir notre attention. Celui-ci est en partie consacré à l’analyse du cas de la haute Silésie (p. 159-164), une province placée sous mandat de la SDN et dont l’histoire, longtemps rejetée à la périphérie de la recherche franco-allemande, constitue pourtant une des clefs permettant de comprendre la brutalité de l’affrontement qui mit aux prises occupants et occupés dans la Ruhr. La perte de 30% du territoire silésien et d’une grande partie de ses mines suite à un plébiscite âprement mené (mars 1921) rendit l’Allemagne encore plus dépendante des richesses situées dans sa marge ouest (p. 163-164). Dans ce contexte, la mainmise française (et belge) sur « le carreau des mines » de la Ruhr (Raymond Poincaré) ne pouvait qu’aboutir à un affrontement direct, le climax mais aussi l’épilogue de cette poursuite de la guerre après la guerre. Malgré une traduction parfois trop proche du texte original – ainsi que l’a déjà relevé Gerd Krumeich –, l’ouvrage de Nicolas Beaupré n’en demeure pas moins un instrument de première main, utile pour la synthèse qu’il propose, incontournable pour les perspectives qu’il ouvre.
- Landry CHARRIER -
Jean-Jacques Becker/Gerd Krumeich, La Grande Guerre. Une histoire franco-allemande, Paris, Tallandier, 2008.
Gaby Sonnabend, Pierre Viénot (1897-1944). Ein Intellektueller in der Politik, München, Oldenbourg Wissenschaftsverlag, 2005.
Jean-Claude Passeron/Jacques Revel (dir.), Penser par cas, Paris, Éd. de l'EHESS, 2005.
Gerd Krumeich, « Feind und Trauma. Ein deutsch-französischer Vergleich der Zwischenkriegszeit », Süddeutsche Zeitung (2. 12.2009) .
Das Kunstwerk et l'occupant français, 1945-1955.
La défaite de l'Allemagne en 1945 entraîne la partition du pays par les puissances victorieuses. Dans le cadre de cette occupation, les Alliés doivent procéder à la dénazification et la rééducation de la population. Cette dernière tâche se révèle la plus complexe : toute trace de national-socialisme doit disparaître des consciences allemandes. Dans cette optique, l'occupant français adopte très tôt une politique culturelle active. L'art, et la peinture en particulier, en est l'élément principal. Les modèles artistiques français, de la modernité « classique » notamment, doivent rééduquer visuellement la population. Or, outre les expositions, la revue d'art en est un des instruments privilégiés. En 1946, naît à Baden-Baden, dans la zone d'occupation française, la revue d'art Das Kunstwerk. Contrôlée par une licence, la publication, bien qu'initiée par des Allemands, sert les intérêts français. La création française y occupe une place considérable et les activités du gouvernement militaire y sont relayées avec attention. Aussi Das Kunstwerk peut-elle apparaître comme un outil de propagande. Toutefois, les conceptions de l'occupant évoluent. A la démonstration d'une supériorité artistique succède une tentative de compréhension et de coopération culturelle. La revue Das Kunstwerk, à la fois témoin et partie prenante de la politique culturelle française, documente les relations artistiques entre la France et l'Allemagne pendant l'occupation du territoire germanique, entre 1945 et 1955.
Nach dem Zusammenbruch des III. Reichs besetzten die Alliierten Deutschland mit dem Vorhaben, die deutsche Gesellschaft zu entnazifizieren und umzuerziehen. Die Umerziehung erwies ich aber als ein kompliziertes Unterfangen, da es darum ging, die Menschen zu einem Mentalitätswandel zu verhelfen. Rasch setzten die Franzosen eine aktive Kulturpolitik um, in rahmen deren der Kunst eine wesentliche Rolle zukam. Die französische Malerei, die « klassische » Modernität im Besonderen, trägt die Werte des Humanismus. Deswegen wird sie als Beispiel für die Deutschen angesehen. Neben den Kunstausstellungen erwies sich die Kunstzeitschrift als das beste Mittel, um kulturelle Modelle durchzusetzen. 1946 entstand Das Kunstwerk in Baden-Baden, in der französischen Besatzungszone. Die Zeitschrift wurde von Deutschen gegründet und geleiteit, sie musste aber von den Franzosen eine Lizenz erhalten. Es darf daher danach gefragtwerden, wie unabhängig sie war. Das Kunstwerk stellt die französische Kunst vor und berichtet über die Aktivitäten der französischen Militärregierung, sie dient also französischen Interessen. Die französische Kulturpolitik ändert sich aber mit der Zeit. Bald geht es nicht mehr darum, die französische künstlerische Überlegenheit zu beweisen sondern einen Willen zu Kooperation zu entwickeln. Das Kunstwerk ist also sowohl Zeuge als auch Akteur, so dass die Zeitschrift dazu beitrug, die politischen und künstlerischen Beziehungen zwischen Deutschland und Frankreich während der Besatzung des Landes (1945-1955) positiv zu beeinflussen.
In 1945, the Germany defeat leads to the country partition. As part of this occupation, the Allies must proceed to the population denazification and reeducation. This task reveals to be the most complex: National Socialism doctrine must disappear from Germans consciousness. In this view, the French occupation early adopts an active cultural policy. Art, and painting in particular, is the main tool. The French artistic models of "classic" modernity must visually reeducate the population. In addition to the exhibitions, the art magazine is a prime interest. In 1946, in the French occupation zone in Baden-Baden, the art magazine Das Kunstwerk was born. Although initiated by Germans, publication is controlled by a licence and serves French interests. The French art creation occupies an important place and the activities of the military government are carefully relayed. Das Kunstwerk can also appear as a propaganda tool. However, the occupant conception changes. An attempt at understanding and cultural cooperation replaces a demonstration of an artistic superiority . The journal Das Kunstwerk, both witness and part of the French cultural policy, documents the artistic relationship between France and Germany during the occupation of the German territory between 1945 and 1955.
Les esprits se sont calmés, l'affaire ne fait plus de vagues, après un débat qui a duré des semaines. L’objet de la polémique : une très jeune auteure, son premier roman acclamé par la critique, la découverte d’un plagiat. Helene Hegemann, née en 1992, avait encore dix-sept ans lorsque Axolotl Roadkill (Ullstein, 2010, 204 p.) est sorti en janvier. L’auteure, fille du dramaturge Carl Hegemann, n’était pas une inconnue dans les milieux culturels. Sa pièce de théâtre Ariel 15 a été mise en scène à Berlin en 2007, adapté par la radio en 2008, un scénario écrit à l’âge de 14 ans a donné lieu au tournage de Torpedo, couronné en 2009 par un prix spécial au festival du film Max Ophüls Preis pour jeunes cinéastes. Et puis en 2010, Axolotl Roadkill, le premier roman.
Mifti, la jeune narratrice, nous emmène d’emblée dans un univers morbide où les nuits sont synonymes de cauchemars et d’angoisses de mort, et où les réveils sont absorbés par « le trou noir de la Kétamine », les effets anxiogènes et hallucinatoires des drogues consommées la veille. La scène a lieu dans la « chambre pour enfants », Mifti a seize ans. Depuis plusieurs mois elle ne va plus à l’école, elle vit en colocation avec sa sœur et son frère. Sa mère – « bénéficiaire de l’aide sociale, ivrogne et malgré cela en costume Chanel » – est morte, elle n’a cessé de traumatiser sa fille de son vivant. Son père – « l’un de ces connards de gauche qui s’imposent, avec un revenu élevé, qui n’arrête pas de faire de l’art en prétendant à l’éternité » – ne s’occupe d’elle que par l’intermédiaire de son téléphone portable. Wohlstandsverwahrlost, Mifti fait partie de ces enfants provenant de milieux aisés abandonnés à eux-mêmes. On la voit consommer une quantité de drogues dans des clubs plus au moins glauques, se laisser aller à des relations sexuelles hasardeuses, échanger des SMS avec sa copine, réfléchir à ses lectures de Foucault et d’Agamben ou regarder un documentaire animalier à la télé. Un jour, Mifti acquiert un axolotl rose qui, dans sa poche en plastique remplie d’eau, la suivra dans ses pérégrinations nocturnes. Ce petit urodèle mexicain passe toute sa vie à l’état de larve, sans jamais atteindre l’état adulte, à l’image de Mifti qui déclare dès les premières pages ne pas vouloir devenir adulte. Voici pour une partie du titre. En ce qui concerne roadkill, terme qui désigne des animaux blessés ou tués sur les routes, le frère de Mifti déclare, après avoir dérobé et lu son journal intime : „You write like a roadkill".
Par l’intermédiaire d’un récit à la première personne rythmé par des dialogues, des extraits de journal intime, des e-mails et des lettres, la narratrice fait non seulement part du processus de désintégration de sa vie, mais elle le commente de façon détachée et presque ironique : « J’ai seize ans et en ce moment, et malgré un épuisement monstre, je ne suis capable de rien d’autre que de vouloir m’établir dans des contextes qui n’ont rien à voir avec la société dans laquelle je vais à l’école et dans laquelle je suis dépressive. Je suis à Berlin. » Dans un langage qui oscille entre vulgarités et imitation des poncifs de différents discours intellectuels, la narratrice évoque nombre de questions au sujet desquelles des teenagers précoces et intelligents aiment philosopher, tout en reconnaissant : « On m’a fait absorber un langage qui n’est pas le mien. » C’est en effet l’impression que donne la lecture : les élucubrations intellectuelles de cette adolescente sont insupportables, et pas moins la description des transgressions et perversités quotidiennes. Une littérature trash qui veut choquer. La lecture de ce livre ne s’impose pas, même si on ressent par moments une force de l’écriture, des images très justes, des formulations étonnantes.
Cela étant, il faudrait séparer les impressions de lecture, qui sont aussi une question de goût, du débat sur le plagiat qui a suivi la publication. Car le livre contient en filigrane une réflexion sur les procédés d’écriture de l’auteure qui seront justement au centre de la polémique. Dès la sortie du livre, Hegemann donne une interview où non seulement elle insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un roman autobiographique, mais où, d’emblée, elle caractérise son livre comme une sorte de « patchwork »: « C’est de la fiction… J’ai tout simplement eu plaisir à imaginer certaines choses et à les assembler avec des fragments existants de films ou de revues ou de livres ou d’histoires de mon entourage. » Ainsi, tous les chapitres ont pour titres des citations de groupes punk et rock, de livres ou de la presse, donnant une première indication sur le procédé de la construction du texte.
Alors que le livre fut très positivement accueilli à sa sortie – Maxim Biller en fait l’éloge en affirmant que l’auteure a un « énorme talent littéraire » – le discours change lorsqu’un blogueur compare des passages du livre de Hegemann avec un roman du blogueur Airen, en révélant un certain nombre d’emprunts concernant des expressions aussi bien que des motifs. Hegemann réagit en assumant entièrement son procédé, expliquant qu’elle vient d’un milieu où l’écriture d’un roman se fait avec les moyens de la mise en scène, où l’on se sert là où l’on trouve de l’inspiration. Puis elle ajoute : « L’originalité n’existe pas, seulement l’authenticité. Peu importe où les gens puisent les éléments de leurs expérimentations, ce qui importe, c’est où ils les emmènent. » Cette dernière phrase se trouve légèrement modifiée à la page quinze du livre, dans la bouche du frère de Mifti : « Berlin is here to mix everything with everything […]. Je me sers partout où je trouve de l’inspiration et où je suis stimulé, Mifti. Films, musique, livres, tableaux, mauvaise poésie, photos, conversations, rêves… […] car mon travail et mon vol deviennent authentiques dès que quelque chose touche mon âme. Peu importe d’où je prends les choses, ce qui importe, c’est où je les emmène. » Et puis : « Ce n’est donc pas de toi ? Non. Ça vient d’un blogueur. » En effet, tout était déjà dit dans le roman, il fallait juste le lire.
En réalité, le débat se centre vite sur l’influence d’internet, les dangers du « copy & paste ». La plupart des critiques ne démordent pas de leur appréciation positive du roman, tout en mettant des bémols quant à l’utilisation des sources. La maison d’édition publie une liste de quatre pages indiquant scrupuleusement les auteurs cités et les passages empruntés, ce qui frôle le ridicule. Dans Die Zeit, l’universitaire Jürgen Graf revient sur les particularités d’une esthétique du montage et rappelle les exemples de Bertolt Brecht, Alfred Döblin, Thomas Mann et Elfriede Jellinek qui sont loin de signaler comme telles toutes les citations utilisées dans leurs œuvres. Dans le même sens, Durs Grünbein intervient dans le débat avec un texte intitulé « „Plagiat“ » qui met en avant l’art du roman de montage et qui se termine sur l’éloge de l’auteure : « […] chaque phrase et chaque dialogue sont traversés par le souffle de l’inspiration d’une grande créatrice ». Alors que sa défense de Hegemann choque certains critiques, Grünbein révèle que son propre texte provient à 99 % de Gottfried Benn, une trouvaille qui serait un « authentique ready-made, avec des retouches minimes ». Grünbein dénonce un débat littéraire où les critères entre intertextualité, plagiat, citation et pastiche sont mal définis. L’affaire Hegemann a eu un dernier rebondissement à la mi-mars. Trois jours avant la remise du prix littéraire du Salon du livre de Leipzig, pour lequel Axolotl roadkill avait été nominé, l’Association des écrivains publie la « Déclaration de Leipzig pour la protection de la propriété intellectuelle ». Elle dénonce l’attitude laxiste de la « jeune génération » face au fait de « copier sans l’autorisation et la mention de l’auteur » et la soupçonne de « non-connaissance de la valeur du travail créatif ». Parmi les premiers signataires les plus connus : Günter Grass, Günter Kunert, Sibylle Lewitscharoff, Erich Loest et Christa Wolf. Cette réaction virulente qui, de toute évidence, avait pour but d’éviter l’attribution du prix à Helene Hegemann, a été reçue avec un avis partagé. Uwe Wittstock se demande si Christa Wolf qui, dans les premières phrases de Kindheitsmuster, reprend William Faulkner sans le citer et le remercier, n’est pas une « pionnière de l’esthétique du 'copy & past’ ? », soulevant une fois de plus la question de la justesse du débat. Un débat qui fait avant tout apparaître un clivage à la fois générationnel – la stigmatisation d’une nouvelle génération d’auteurs soi-disant « ignorante » des « vraies » lois de la création – et culturel, entre la « haute culture » et une « culture de masse » qui se développe avec rapidité grâce à internet et ses nombreux blogs. Ce n’est pas un hasard que ce soit un blogueur qui ait remarqué les similitudes entre Airen et Hegemann, et non pas un des grands critiques renommés des pages littéraires. L’autorisation au plagiat serait-elle réservée aux « grands auteurs » ? Chez Gero von Wilpert on lit que ce ne sont que les petits esprits qui font du plagiat, voulant se faire une réputation avec les productions intellectuelles des autres. En revanche, les « grands » font des emprunts à d’autres en les incluant dans une vision du monde déjà bien construite, ce qui serait tout à fait légitime. C’est à peu près l’argumentation de l’auteure qui ne se compte pas parmi les petits esprits. Helene Hegemann n’a pas eu le prix littéraire de Leipzig. Tant mieux. Car le problème essentiel n’est pas tant le plagiat que l’immédiate surévaluation du livre et la promotion médiatique d’un nouveau « Fräuleinwunder » de plus en plus jeune.
Enfances et adolescences dans le pays du miracle économique
Avec Roman unserer Kindheit (Rowohlt, 2010, 446 p.), c’est finalement Georg Klein qui a remporté le prix du Salon du livre de Leipzig décerné le 18 mars. Et c’est un choix heureux. C’est le quatrième roman d’un auteur connu également pour ses récits et qui fait parler de lui depuis une dizaine d’années, depuis la sortie de son roman d’espionnage Libidissi en 1998, et la réception du prix Ingeborg Bachmann en 2000. Roman unserer Kindheit raconte l’histoire d’une bande de copains dans une cité récemment construite dans une ville ouest-allemande, dans les années 1960. Ils ont entre huit et onze ans, s’appellent Tête de loup, Renifleur, Michi-Amerlo, Sibylle la chic, Jumeaux amusants et Frère aîné. Avec leurs parents, ils occupent des appartements modernes dans des blocs d’immeubles aux couleurs pastel. C’est l’époque des premiers postes de télévision et de tout un confort désormais accessible aux classes moyennes. Les enfants passent leur temps ensemble, à la recherche de petites et grandes aventures : l’impatience devant le contenu insoupçonné d’une pochette surprise, un album de collection arrivé par la poste qui recèle l’histoire d’un tueur d’ours ou les passionnants récits imaginés par le Frère aîné. Le défi du grand hêtre dur à monter et les rencontres avec les Huhlenhäusler qui leur font peur, ces gens du voyage yéniches qui ont toujours la même grande soupe à l’odeur d’ail sur le feu. La lisière dans la forêt avec un canapé abandonné qui change de place tous les jours. Ou encore l’homme Kiki avec son impressionnante collection de perruches. Mais là déjà, une certaine inquiétude commence à s’installer. Avec son parler à peine compréhensible, l’homme Kiki annonce la mort d’un des enfants de la cité. Alors que le malheur avait déjà commencé. Le premier jour des grandes vacances, le Frère aîné se blesse grièvement le talon dans un accident de vélo et son seul moyen de locomotion deviendra le double landau de ses frères cadets. Dès le début le lecteur apprend d’ailleurs de la part d’un narrateur encore mal défini que ce malheur ne restera pas le seul.
Georg Klein est un maître du roman noir et du fantastique. Dès les premières pages, on entre dans un monde dont la paix n’est qu’apparente. Des petits indices, des effets d’annonce, des prédictions et des suppositions plongent le lecteur dans un univers énigmatique. Derrière les enfances sereines au pays du miracle économique guette quelque chose d’une inquiétante étrangeté. Apparaît d’abord un camion de déménagement qui amène un homme inconnu. Sous sa grande capuche, son visage est à peine perceptible, à la place du nez on voit un morceau de gaze blanc. Les enfants l’appellent « l’homme sans visage ». Sibylle la chic avait osé frapper à sa porte et elle a aperçu le plan de la cité, gravé dans la table de cuisine en bois. L’étranger déambule dans le quartier, rôde autour du terrain de jeu des enfants, les observe dans leurs cachettes. Apparaissent ensuite le « Fehlharmoniker », un accordéoniste quasiment aveugle qui ne fait sortir que des sons discordants de son instrument, et le commandant Silber, amputé du bas des deux jambes. Avec des jumelles, il observe, lui aussi, les jeux des enfants. Les trois hommes se connaissent, ils sont les survivants de l’équipage d’un tank qui a explosé lors des combats de la dernière guerre. Depuis, « l’homme sans visage » ressent les pulsations, les champs de force des autres combattants… Derrière les visages des enfants innocents sourdent les traumatismes de la guerre. La blessure du Frère aîné qui a du mal à cicatriser est comme le prolongement des corps stigmatisés de ces trois invalides. La plaie ne guérit pas, comme pour rappeler que derrière le bien-être d’une nouvelle vie en prospérité la jeune génération est liée à celle des parents par le passé dont personne ne veut parler, dont le silence, dans ce livre, est présent comme une menace. Car les trois invalides qui se retrouvent dans cette ville semblent poursuivre un terrible plan. Et cela juste au moment où les enfants pénètrent dans la cave et les souterrains labyrinthiques d’une vieille auberge abandonnée, à la recherche de la petite sœur de Sibylle qui avait appelé au secours. Nous n’en dirons pas plus, il faut lire ce roman d’une construction très fine où tout devient signe. Et dont le récit est porté par un narrateur, ou plutôt une narratrice bien particulière. Elle a à la fois une « vue panoramique » des choses, alors que sa « maison est sans fenêtre », elle parle aux personnages et les guide, elle fait advenir les événements par la force de ses « yeux globuleux ». Une minuscule narratrice qui, une fois de plus, semble relever de l’univers du fantastique, mais qui n’est personne d’autre que la petite sœur en gestation du Frère aîné, conduisant le récit à partir du ventre de sa mère et qui, elle aussi, subit sa part de malheur.
Alors que Georg Klein plonge l’univers de l’enfance dans une ambigüité qui devient la ressource d’un roman noir au dénouement étonnant, Ulla Hahn écrit avec Aufbruch (DVA, 2009, 587 p.) un roman de formation à teneur autobiographique qui porte sur une adolescence à cette même époque des années 1960. Huit ans après la parution de Das verborgene Wort (2001), l’auteure reprend le parcours de sa protagoniste Hildegard Palm, une adolescente en rupture avec son milieu d’origine dans un village de Rhénanie. Fille d’un ouvrier non qualifié, Hildegard a très tôt le goût des mots, de la littérature et des belles phrases. Ce qui fait qu’elle se trouve en permanence confrontée à l’incompréhension de sa famille, aux yeux de laquelle l’avenir d’une jeune fille se limite au fait d’être mère et de s’occuper de sa famille. Grâce au soutien de quelques professeurs et du curé du village, Hilla interrompt l’apprentissage auquel son père l’a contrainte et passe un examen pour rejoindre le lycée, une voie qui ne lui était pas destinée. Aufbruch commence en 1963, au moment où, à dix-sept ans, Hilla entre au lycée, et il se termine avec son déménagement à Cologne environ trois ans plus tard, où elle poursuivra des études de germanistique. Sur les presque six cents pages qui couvrent cette période et qui ne sont pas exemptes de certaines longueurs, l’auteure nous fait découvrir l’univers de Hilla à partir de la perspective du personnage. Pour réussir au lycée, il faut travailler dur, ne pas se laisser distraire. Hilla travaille dans un petit cagibi en bois à l’extérieur de la maison. Elle excelle en latin qui devient la langue de conversation avec son frère cadet et qui évince le dialecte local, d’ailleurs très présent dans le livre, dans la bouche des parents, des tantes, de la grand-mère. Avec son frère, Hilla partage l’amour des cailloux du Rhin qui sont comme un leitmotiv du roman. Leur grand-père leur avait raconté l’histoire d’une pierre aux pouvoirs magiques dans le ciel qui, une fois tombé sur terre, a éclaté en mille morceaux, les Buchsteine, les pierres-livres. Celui qui les trouve sera aimé de tous. Depuis, Hilla et son frère ont inventé les pierres qui rient, les pierres en colère, c’est comme un code secret entre eux. Pour Hilla, la littérature devient essentielle. Auprès d’un libraire dont elle est une des clientes les plus fidèles, elle rencontre un jeune homme d’un milieu aisé qui lui fait découvrir – sans la convaincre – la haute cuisine et l’art moderne, elle noue une première relation tout en veillant à maintenir intacte le seul « capital » qu’elle possède, comme dit sa mère, sa virginité. Puis la vie de Hilla bascule. Après une soirée des jeunesses catholiques, elle est victime d’un viol en rentrant chez elle. Elle en garde le secret devant sa famille, l’enferme, l’enkyste en elle, et tente difficilement de revivre. Car Hilla perd également ce qui lui était le plus cher, le goût de la littérature, elle ne peut plus lire les « belles lettres » dont les contenus lui sont devenus suspects. De même qu’elle ne pourra plus croire en Dieu. La description de ce processus de désenchantement, de perte de la littérature comme « planche de salut », comme le formule Ulla Hahn dans un entretien, fait partie des moments les plus forts du roman.
Mais Aufbruch veut également être un document des années 1960. Les nouveaux modes de vie – l’ouverture d’un supermarché dans le village, la fascination qu’exerce le catalogue Quelle sur les femmes du voisinage – y ont aussi bien leur place que l’arrivée des Gastarbeiter ou encore le contexte politique de ces années-là, la télévision permettant de suivre les funérailles de Kennedy en direct. De même qu’on pouvait y regarder les procès d’Auschwitz à Francfort. Un professeur engagé demande aux lycéens d’interroger leurs familles sur leur comportement pendant le Troisième Reich : « Demandez, demandez à vos parents, à votre famille, à tous ceux que vous connaissez, ce qu’il en était des concitoyens juifs au Troisième Reich, et notez les réponses. » Hilla apprend que sa grand-mère avait caché un juif, mais d’autres personnes qu’elle tente d’interroger donnent des réponses plutôt évasives. C’est un sujet dont on ne parle pas. Et suite aux plaintes de certains parents, le professeur en question se voit obligé d’interrompre les investigations. Autrement que Georg Klein, l’auteure thématise le silence de la génération des parents sur le Troisième Reich.
Exil à Shanghai et retour désenchanté
Avec son remarquable roman Shanghai fern von wo (Jung und Jung, 2008, 500 p.), couronné par le prix littéraire Joseph Breitbach en 2009, Ursula Krechel aborde un sujet peu habituel dans le paysage littéraire allemand. Alors que de nombreux auteurs s’intéressent depuis quelques années à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en choisissant la perspective des « bourreaux » et qu’on assiste à une victimisation des Allemands dans le discours public, plus rares sont ceux qui donnent une voix aux premières victimes du national-socialisme : les juifs. Dans son roman, Ursula Krechel s’intéresse au destin des juifs allemands et autrichiens qui n’avaient plus qu’une seule et dernière porte de sortie d’une Europe sous l’emprise du national-socialisme : les bateaux en direction de Shanghai, seule ville qui grâce à son statut international accueillait les réfugiés sans visa. Entre 1938 et 1941, environ dix-huit mille juifs arrivaient à Shanghai, rencontrant sur place des conditions de vie extrêmes qui allaient s’empirer avec la mise en place du ghetto de Hongkew par les Japonais début 1943, sur l’ordre des nationaux-socialistes.
Depuis de longues années, Ursula Krechel a rassemblé de la documentation sur ce sujet. Elle a consulté des témoignages écrits et des documents d’histoire orale, des travaux d’historiens, elle a fait des recherches dans de nombreuses archives, surtout à la Wiener Library de Londres qui, juste après 1945, avait demandé aux émigrés de témoigner de leurs expériences. Dans les années 1990, elle a composé deux pièces radiophoniques à partir de ce matériau, avant de se consacrer à l’écriture du roman. L’enjeu principal face à ce qui pourrait se rapprocher de l’écriture documentaire était, selon l’auteure, le choix de la perspective narrative : « Une trop grande proximité aurait pu avoir un effet d’identification, je n’avais pas de raison pour cela, une trop grande distance aurait donné une impression de froideur, d’historicité, pour cela, l’empathie avec les survivants de Shanghai était trop grande. » Le résultat est une écriture polyphonique où les biographies de personnes réellement existantes sont fictionnalisées, où des témoignages et des souvenirs réels se croisent avec des éléments imaginés par le narrateur qui, par ses commentaires, crée la distance nécessaire pour contourner le pathos.
Parmi les personnages qu’on rencontre, il y a Franziska Tausig et son mari qui émigrent de Vienne, après avoir envoyé en Angleterre leur fils Otto, le futur acteur et metteur en scène. Alors que la vie de son mari, ancien avocat hongrois et désemparé face à la nouvelle situation, se brise, Franziska Tausig réussit à survivre en tant que pâtissière, grâce à son talent de faire des strudels aux pommes. On rencontre également l’historien d’art Lothar Brieger, connu pour ses ouvrages sur la peinture de genre. À 60 ans, il quitte Berlin pour Shanghai, sa femme allemande ne le suivra pas. Il entre en contact avec Walter Benjamin installé à Paris, sans jamais recevoir de réponse de celui qui lui-même ne survivra pas à son exil. Brieger aurait eu une relation avec l’ex-femme de Benjamin, les deux hommes se seraient rencontrés dans la pension que celle-ci entretenait à San Remo après 1933. On rencontre Günther et Genia Nobel, un couple de communistes qui essayent de mettre en place un réseau du Parti et doivent surmonter leurs doutes concernant l’attitude de l’Union soviétique pendant la guerre. Après la guerre, le couple choisira de s’installer en RDA où Günther Nobel deviendra fonctionnaire et diplomate. Et on rencontre le libraire Ludwig Lazarus, qui faisait partie d’un réseau de résistance à Berlin et qui, après la prison de Moabit et les camps de Dachau et Buchenwald, se retrouve à Shanghai. Lazarus est au cœur de ce roman, c’est le chroniqueur de cette communauté d’exilés, l’historien du ghetto et de sa dissolution tardive. Le témoignage de Lazarus avait été enregistré sur des bandes magnétiques, c’est lui qui se souvient des destins des autres émigrés. C’est grâce à lui que toutes ces différentes vies se croisent. Pour le narrateur, cette bande magnétique retrouvée était « une voix ressuscitée, une voix maintenue en vie, un heureux hasard de l’archive. » Mais c’est avec Lazarus, personnage et narrateur des événements à la fois, que l’auteure problématise également la perspective narrative : « Je suis un bon narrateur, disait Lazarus. Il le disait sur un ton autoritaire et ironique à la fois. Il voulait qu’on le croie. Ou du moins, avoir l’impression qu’on le croit. Il ne se croyait pas tout à fait lui-même. Au fond de lui-même, il avait peur d’être un mauvais narrateur ou un bon passeur sous silence. Il racontait ce qui se trouvait dans les marges, et les marges s’étendaient de plus en plus. » Avant que le lecteur comprenne que Lazarus est un témoin qui a vraiment vécu, que ses récits avaient été enregistrés par la Wiener Library, il est présenté dans le roman comme un narrateur non fiable, ce qui crée une distance par rapport au récit. Ce n’est que plus tard qu’on s’aperçoit que cette catégorie est en elle-même peu adaptée au témoignage et aux souvenirs qui sont, par définition, susceptibles d’erreurs.
Le roman d’Ursula Krechel est plus qu’une reconstitution fictionnalisée des destins des « petites gens » de l’exil, plus qu’une réflexion sur les aléas de la mémoire. Une large partie de la fin est consacrée à l’expérience de déracinement des exilés, au pénible retour, à leur difficulté de savoir où aller, quel pays choisir entre les États-Unis, la Palestine, puis Israël ou l’Allemagne : « Les réfugiés portaient un passé en eux qui ne trouvait plus aucun lieu. » Et pour les rares exilés qui optent pour l’Allemagne, le retour est plus qu’humiliant. Lothar Brieger, à qui on a proposé une chaire à Berlin, ne survit pas à son voyage de retour dans des conditions extrêmement fatigantes et indignes. Ludwig Lazarus hésite longtemps avant de revenir, il préfère rester quelques années à Shanghai pour ne pas rentrer les mains vides. Il ruine sa santé physique et psychologique dans les rouages d’un système administratif qui ne veut pas lui reconnaître les réparations qui lui sont dues. Ces pages qui rappellent le difficile retour des réfugiés juifs en République fédérale et les humiliations qu’ils ont dû continuer à vivre pour avoir une reconnaissance en tant que victimes du national-socialisme incitent à reconsidérer de façon critique le discours sur l’exemplaire « confrontation au passé » de l’Allemagne qui s’accentue avec les années qui passent.
Une chronique familiale hors du commun
Avec Haltet euer Herz bereit (Blessing, 2009, 272 p.), Maxim Leo s’inscrit dans la lignée des jeunes auteurs est-allemands qui, depuis presque une dizaine d’années, tentent de se réapproprier l’histoire qu’ils ont vécue en RDA par la fiction, l’autofiction, les mémoires et les souvenirs. Né en 1970 dans une famille qui, à elle seule, était comme une « petite RDA », Maxim Leo, journaliste à la Berliner Zeitung, opte pour une approche qui lie l’investigation historiographique au sein de sa famille aux souvenirs personnels qu’il a de la RDA. Le livre retrace la vie de trois générations, mettant au centre les deux grands-pères, les parents et les expériences de l’auteur lui-même. Le personnage clé de la famille, son héros, était le grand-père maternel de Maxim, Gerhard Leo. Né en 1923 dans une famille bourgeoise juive, il prend le chemin de l’exil à l’âge de dix ans. Son père Wilhelm, un avocat reconnu persécuté par les nazis, s’installe avec sa famille à Paris où il s’occupe d’une petite librairie franco-allemande. Avec l’Occupation, son père et ses sœurs sont internés dans des camps français. Lui-même, mineur, quitte Paris en juin 1940. C’est alors qu’un sentiment d’insécurité s’empare de lui, et la conscience « qu’il n’y a plus aucun endroit préservé pour lui, que personne ne peut le protéger ». Il « doit prendre son destin en main ». Cette expérience du déracinement, ce sentiment d’être nulle part chez soi sera une des raisons pour lesquelles Gerhard Leo optera plus tard pour la RDA. En 1940, il survit grâce à des petits boulots avant de rejoindre, à l’âge de dix-sept ans, les réseaux de la Résistance. Il se fait arrêter et torturer par la Gestapo et, par un heureux hasard, libérer par des partisans. C’est alors qu’il devient membre du parti communiste qui représente pour lui une « communauté de destin, une famille ». Son adhésion n’est pas le fruit de véritables choix idéologiques, mais « de l’expérience, du sentiment, de l’amitié ». Aucun doute sur la doctrine communiste ne sera suffisamment fort pour contrecarrer la reconnaissance et la joie ressenties à sa libération par les partisans. Après la guerre, Gerhard Leo s’installe à Düsseldorf avant de rejoindre Berlin-Est. Il y travaille comme journaliste au Neues Deutschland, le journal du SED, sera correspondant à Paris. En tant que héros résistant, il sert la légitimation antifasciste de la RDA. Tout en se trouvant lui-même dans le collimateur du pouvoir au début des années 1950, à l’époque des purges staliniennes, où des rapports secrets soulignent son origine juive et bourgeoise ainsi que son exil dans un pays occidental. L’autre grand-père, paternel, en est l’exact opposé. Fier d’appartenir à une famille de résistants juifs, Maxim Leo ne découvre que tardivement son grand-père Werner, autrefois un nazi convaincu. Werner aussi opte pour la RDA, mais non pas pour y trouver un pays libéré des nazis comme Gerhard, mais pour y avoir une deuxième chance. Reconnaissant envers cet État qui lui a permis une ascension sociale et le « rachat » de son passé, il devient le « prototype du citoyen socialiste ».
Une autre configuration d’attachement à la RDA émerge avec la génération suivante. Annette Leo, la fille de Gerhard et mère de l’auteur, adhère très jeune au parti et ne prendra ses distances par rapport à la RDA que beaucoup plus tard. La dépendance qu’elle ressent par rapport à cet État s’explique par son identification avec le destin de ses parents persécutés. Ce n’est que lorsqu’elle s’intéresse au destin de son grand-père maternel Dagobert Lubinski, un journaliste communiste juif à Düsseldorf, exclu du KPD et fondateur d’un mouvement dissident, qu’elle réussit à fuir « la prison de la loyauté » qui la liait à la RDA. Loyauté qu’a dû subir son mari Wolf Leo, le père de l’auteur, un artiste rebelle qui n’a rien à voir avec les idéaux socialistes de sa belle-famille. La troisième génération, celle de Maxim Leo, ne se laisse plus convaincre par l’attachement à un État qui est surtout ressenti comme un obstacle au développement personnel. Invité par son grand-père Gerhard à faire un voyage en France en 1988 sur les traces du passé de ce héros résistant, le petit-fils y goûte avant tout la liberté et le bien-être occidental et ne comprend pas pourquoi les amis français du grand-père font l’éloge de la RDA. À son retour, il n’a plus qu’une seule envie : partir à l’Ouest.
Cette chronique familiale de Maxim Leo est une lecture précieuse pour comprendre la complexité des comportements qui ont conduit certains à adhérer sans faille à la RDA, d’autres à la rejeter, et comment ces ruptures traversent les familles mêmes. Il aide à comprendre ce que Martin Sabrow avait appelé les « forces d’attache » (Bindungskräfte) qui pouvaient lier différentes générations d’Allemands de l’Est à cet État. Une lecture obligée pour quiconque voudra comprendre la RDA de l’intérieur.
Essen et la Ruhr – capitale européenne de la culture
Cette année, Essen et avec elle toute la région de la Ruhr, figure parmi les villes européennes de la culture, aux côtés de Pésc en Hongrie et d’Istanbul. Chaque année, ce titre permet aux villes sélectionnées de profiter des subventions européennes pour réaliser des projets culturels d’envergure. Pour Essen et la région de la Ruhr, l’enjeu est de taille, car il ne s’agit de rien de moins que de transformer une région industrielle touchée par la désindustrialisation et le chômage en un pôle de culture capable de maintenir son pouvoir d’attraction au-delà de cette année particulière. « Le changement par la culture – la culture grâce au changement » (« Wandel durch Kultur – Kultur durch Wandel »), telle est la devise de la région. Avec son réseau de 53 villes et ses cinq millions d’habitants, la Ruhr est la troisième agglomération d’Europe. Le déclin de l’industrie du charbon et de l’acier demande en effet une réorientation économique où la culture pourrait jouer un rôle important, défiant les sceptiques qui pensent que ce n’est pas la bonne région pour réaliser des projets culturels prestigieux. Plus que dans d’autres capitales culturelles, les thèmes sont choisis en fonction d’une interrogation sur l’héritage et l’identité de la région et le rôle qu’elle pourra jouer dans l’Europe à venir.
La région profite tout d’abord de l’existence des monuments industriels qui maintiennent la mémoire de l’exploration minière et qui témoignent du changement structurel. En vue des manifestations de l’année 2010, le nouveau Musée de la Ruhr à Essen a été inauguré en 2008 dans un endroit très particulier, l’ancienne houillère Zeche Zollverein, un monument du fonctionnalisme industriel construit au tournant des années 1920/1930. Le bâtiment, réaménagé par l’architecte Rem Koolhaas présente l’histoire de l’industrie du charbon dans un environnement qui reprend les symboles même de cette industrie, l’ombre et la lumière, en incluant les médias d’exposition les plus modernes. Le grand escalier du musée, avec sa main-courante lumineuse, figure l’écoulement de l’acier, alors qu’un fond sonore adapté rappelle le fonctionnement de la mine. Dans l’optique de changer l’image quelque peu sombre d’une région minière et de se projeter dans le 21e siècle, la ville de Unna a créé un Centre de l’art lumineux international où a lieu cette année la première biennale mondiale d’art lumineux, avec les installations d’espaces de lumières d’artistes mondialement connus. Ce ne sont que deux exemples d’un réaménagement culturel de la région qui perdureront au-delà des nombreuses activités qui animeront la région tout au long de cette année.
Livres sur la civilisation et l'histoire
Susanne Kiewitz, Der Rhein, ein
Reisebegleiter, Berlin, insel
taschenbuch 3474, 2010,
225 p.
L’Allemagne est le pays natal des célèbres guides Baedeker, mais ce livre est plus qu’un simple indicateur pour touristes, c’est un guide de géographie, d’histoire et de civilisation pour aujourd’hui. En treize chapitres, des sources suisses à l’embouchure néerlandaise, on revisite le passé marqué par le présent européen. Les auteurs, nombreux, qui ont écrit à propos du Rhin, sont cités comme témoins : Mörike, Schikele, Sternheim, Rilke, Hesse, die Droste, Erasmus, Hebel et bien sûr Goethe. Les écrivains les plus récents ont droit à des citations plus longues : Walser et Böll. Les peintres expressionnistes sont aussi présents : Otto Dix, Erich Heckel. Le passé est parfois masqué par le présent : barrages, centrales, usines chimiques, régulation du cours. Mais il résiste, tant il a été marqué par l’histoire de l’Europe. Ce livre peut très bien figurer au rayon des ouvrages recommandés pour LEA comme pour la filière traditionnelle.
Rosa Sala Rose, Lili Marleen, Die
Geschichte eines Liedes von der
Liebe und vom Tod, DTV-
Premium, n° 24801, Munich, 2010,
239 p.
La célèbre chanson est entrée dans l’histoire de la deuxième guerre mondiale et la symbolise. L’auteure, germaniste catalane, a recherché les origines et les avatars de ce mythe. Son livre est novateur et mérite de figurer dans les bibliothèques avisées. A l’origine, il y a un poème, écrit en 1915 par Hans Leip, soldat en garnison à Berlin. C’est l’expression, pas si naïve que cela, d’un « troufion » qui craint le départ pour le front. Ses deux amoureuses ont bien porté le nom de Lili et de Marleen, mais n’en font qu’une. Les cinq strophes sont du pur Volkslied : soldatesque et mélancolique. Les deux dernières sont carrément une prémonition de la mort et de la carrière de revenant, qui attend des millions de soldats.
Les hasards et les ambiguïtés scandent la genèse du mythe. Publication, en 1937 seulement, du poème de Hans Leip, dans un recueil, Die kleine Hafenorgel. Ecriture d’une première musique par Rudolf Zink. Mise au répertoire des cabarets par Liselotte Wilke, qui change de nom en 1939 : Lale Andersen. Elle adopte peu après une musique concurrente de Norbert Schulze, plus simple et plus martiale. Premier enregistrement sur disque en 1939. Le hasard porte un nom : en juillet 1941, la radio militaire allemande de Belgrade occupée, dirigée par le sous-lieutenant Reitgen, choisit cette chanson, appelée dès lors à devenir un énorme succès, comme indicatif d’une émission reliant les soldats à leurs familles. Il est bientôt trop tard pour interdire cette chanson « défaitiste », entendue sur tous les fronts. La presse s’en empare, des cartes postales sont éditées, les simples soldats la défendent. Il faut lire cette narration bien documentée, qui s’attache à faire entrer dans le domaine « noble » de l’histoire, un fait de civilisation « trivial ». Un CD avec douze plages rend accessibles des documents sonores introuvables autrement.
Revue Théâtre/Public, n° 195,
2010/1, Gennevilliers, 82 p.
On connaît bien cette revue, fondée par Bernard Sobel, quand il créa l’Ensemble théâtral de Gennevilliers, un des flambeaux du « théâtre hors les murs ». On y a vu bien souvent des pièces du répertoire allemand, classique et moderne. La filiation avec le Berliner Ensemble (Sobel y fut assistant) et la liaison avec « le politique » sont ses marques de fabrique. Ce numéro traite justement des relations entre théâtre et politique dans une perspective historique. Presque tous les collaborateurs de la revue sont germanistes, associés de longue date à la création théâtrale en France : Jean-Louis Besson, Jean Jourdheuil, Bruno Bayen, André Steiger. C’est par la problématique du « théâtre populaire » que les pièces allemandes ont pris la place que l’on sait, dès 1947 et les premiers festivals d’Avignon. Les contributions s’attachent à ce phénomène dans sa durée : présence du théâtre allemand à Strasbourg (TNS), venue récente du « Berliner » à Paris (au Théâtre de la Ville, le Dreigroschenoper mis en scène par Robert Wilson). La diffusion de la revue est assurée par sa rédaction : 2 bis, rue Dupressoir, 32230 Gennevilliers. On y trouve tous les numéros consacrés à Brecht, dont celui sur son audition devant la « commission Mac-Carthy (n° 100, de 1993).
Edda Ziegler, Verboten, verfemt,
vertrieben – Schritstellerinnen im
Widerstand gegen de National-
sozialismus, DTV n° 34611,
Munich, 2010, 361 p.
Le titre indique bien l’objet de cette étude en sept chapitres : le destin des « écrivaines » interdites par le régime nazi dès 1933. Les causes sont diverses (juives, marxistes, pacifistes), mais le résultat est commun : autodafé des livres, interdiction de publier, menaces policières. Leur réaction est la plupart du temps l’exil, avec ses différentes stations. A chacune correspond une étude particulière portant sur les trois étapes de leur chemin : avant 1933, pendant le règne du fascisme et la guerre, le retour au pays (pas toujours). Noms connus et plus confidentiels coexistent : Annette Kolb, Erika Mann, Else Lasker-Schüler, Anna Seghers, Nelly Sachs, Rose Ausländer. D’autres points de vue rapprochent ces études : la vie quotidienne auprès de « grands » hommes, comme Weil, Canetti, Brecht ; la réalité de « l’émigration intérieure » chez Ricarda Huch et Marieluise Fleißer. Le mérite de ce livre solidement informé est de rassembler et d’approfondir ce qu’on savait déjà (un peu), voire de faire découvrir des réalités occultées (le camp de Gurs). Difficile de le classer dans une bibliothèque, mais néanmoins indispensable.
Du côté des traductions
Peter Huchel, Chaussées chaussées,
traduction de Maryse Jacob et
Arnaud Villany, L’Atelier La
Feugeraie, 2009, 150 p.
Notre revue a déjà signalé l’excellence de cet éditeur de poésie en version bilingue, tant par le choix des recueils que par la qualité des traductions. A l’exemple de ce volume d’un grand poète un peu trop négligé, Peter Huchel (1903-1981). Il a vécu intensément les avatars de son pays : jeunesse dans la campagne du Brandebourg, guerre et captivité, la partition après la défaite. Il avait fait le choix de demeurer en RDA, soutenu par Brecht, Becher et Hans Mayer. Il fut le directeur de la revue exigeante Sinn und Form. Pourtant, son langage ne correspondait pas au canon du « lyrisme socialiste » : trop subjectif, trop individuel, plus près de l’immuable nature que de la société instable. Son recueil fut publié en 1963, à l’ouest seulement (Fischer). En 1962, il avait été limogé de la direction de la revue, interdit de publication, quasiment emmuré, avant de pouvoir partir en RFA en 1971, à Fribourg où il mourut. La traduction montre bien la nature de ses poèmes brefs (une cinquantaine) : les mots de la nature, les mots concrets et précis, dont l’énoncé fait naître les visions et les rêves. Il se situe dans la lignée de Trakl. Dans ses poèmes sur la Bretagne, vue plusieurs fois dans sa vie, il évoque l’œuvre de Gauguin. Une édition exemplaire du « génie » concis et combinatoire de la langue allemande. (Adresse de l’éditeur : 14770, Saint-Pierre-la-Vieille)
Anja Hilling, Anges, t.fr. de Jörn
Cambreleng, éditions
THEATRALES, Paris, 2009, 76 p.
Cette traduction est le fruit d’une collaboration entre l’éditeur bien connu de pièces françaises et étrangères et de la Maison Antoine Vitez, sise à Montpellier, et pour qui travaillent des spécialistes de maintes cultures théâtrales. Anja Hilling (née en 1975) est bien connue en Allemagne, en particulier à Berlin, où l’on a joué une dizaine de ses pièces. Anges date de 2006. Il n’y a pas de progression dramatique, et les personnages vont et viennent entre le présent et le passé, au fil de courtes séquences, qui se déroulent souvent dans des lieux publics. Les dialogues sont laconiques, les didascalies faites pour être lues par un des personnages, Asta, la barmaid. On peut y reconnaître parfois la description d’un tableau expressionniste.
Marius von Mayenburg, La Pierre,
texte français Hélène Mauler et
René Zahnd, L’Arche, Paris, 2010, 68 p.
L’œuvre de Marius von Mayenburg (né en 1972 à Munich) est déjà assez étoffée. A vrai dire, il a commencé très jeune à écrire, étant mêlé dès 1992 à la vie théâtrale de Berlin. Son sujet principal est la réaction violente de l’individu malmené dans la société allemande. Six pièces sont déjà au catalogue de l’Arche, certaines furent montées. Cette dernière accumule les strates de l’histoire de l’Allemagne autour d’une famille juive de Dresde spoliée par la nazisme. Dans une mise en scène de Bernard Sobel, elle a été donnée à Paris cette année (Théâtre de la Colline) et remarquée par la presse.